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des hordes de misérables j victimes du fanatisme et de l’intolérance et n’ayant d’autre refuge, au sein de cet abandon affreux, que la pitié de quelques gouvernemens voisins qui leur permirent daller arracher, aux côtes de l’Afrique, une subsistance qn’on eût craint même de leur donner dans une terre trop voisine des lieux témoins de leur désastre. Eloigné de la France, qui a rejetté ses enfans, ils ont oublié son langage, hélas ! et n’ont pas perdu son souvenir : leurs usages mêmes se sont fondus dans les usages hollandois ; ils ne diffèrent plus guère des autres colons; la trace originelle est perdue; on ne les reconnoîtroit à rien, s’ils n’avoient conservé, pour la plupart, des cheveux noirs, qui contrastent avec la chevelure presque toujours blonde, des habitans de la colonie hollandoise. C’est ainsi que s’efface et que se détruit insensiblement cette modification que l’homme social reçoit de son gouvernement, de son éducation, de ses loix ; tout avec le tems se détruit, renaît, se ré- eompose ; il est cependant des souvenirs et de certaines traditions qui se prolongent au-delà des siècles. Le sort de ces infortunés fugitifs , martyrs de leur religion quelle qu’elle soit, qui ont tout quitté, jusqu’aux tombeaux de leurs ancêtres, pour se transplanter aux extrémités de l’Afrique, m’inspiroit pour eux une compassion tendre dont ils ne soupçonnoient guère ie motif. Après mon retour en France, depuis que de vastes mers nous ont séparés, cet intérêt s’accroît encore chaque jour : la liberté veut effacer jusqu’au souvenir d’une proscription si lâche ; les derniers enfans de ces pères si malheureux retrouveront peut-être un jour, dans leur ancienne patrie, tous les biens que leur ravit et la rage des prêtres et la funeste condescendance du despote. C’est ici le lieu de raconter comment se sont faites les concessions de terrain dans cette contrée si long-tems inculte y et quel est l ’usage qui s’observe encore-de nos jours à cet égard. Lecteur, repose ton attention sur ces détails : il y a ici quelque chose de l’origine des possessions et des établissêmens humains ; je dois cette recherche au hasard qui me porta un jour dans le Rooye-Zand ( Colonie du sable rouge }, J’entrois vers midi dans une habitation ; l’excès de la chaleur et la fatigue qu’elle m’avoit causée m’invitoient au repos ; je comptois m’y arrêter jusqu’au soir. Une jeune fille étoit seule dans la pièce ou j ’entrai ; elle avoit une figure charmante qui annonçoit à peine seize ans; je la saluai, je l’embrassai selon l’usage; mes regards involontairement se promenoient autour d’elle ; elle crut s’appercevoir -que je m’étonnois d’être ici sans témoins; elle me prévint et me «lit que. son père et sa mère étoient absens du logis. Je concevoir difficilement qü’ils eussent quitté leur demeure au moment de la plus grande ardeur du soleil ; je lui demandai par quel accident ila. avoient été forcés de sortir ? « Ce matin, me répondit-elle, nous «x avons reçu l’avis que quelqu’un a planté un baaken (piquet) sur no- «tre territoire; cette nouvelle nous a fort allarmé et mes parens «sont partis aussitôt pour aller s’en éclaircir sur le lieu même». Pour moi, qui ne concevois pas ce qu’un piquet fiché en terre pouvoit ayoir d’aussi alarmant qu’elle eut contraint ces colons à braver , contre leur Usagé, la plus grande ardeur du jour, et meme à abandonner leur fille, je repartis assez naïvement que si un passant avoit planté ce piquet, il étoit très-aisé à un autre passant de l’enlever, et qu’il n’y avoit dans tout cela rien de pressé ; j ’offris, si le père et la mère ne l’avoient pas découvert, de l’arracher moi-même, dans le cas où. je passerais de ce côté. La jeune fille me repondit que cette opération ne dépendoit ni d’elle, ni de moi, ni de personne; elle ajouta que son père ne pouvant tarder à revenir, il me conterait l’histoire du piquet plus au long, et elle m’invita à me rafraîchir et à lui faire compagnie. Ses parens, en effet, furent bientôt de retour; le père caressoit sa fille pour m’avoir retenu, tandis que la mère me prodiguoit ses attentions obligeantes. Nous nous mîmes à table; une gaieté fran- . che présida au dîner : l’affaire fâcheuse qu on avoit tant redouté ve- xioit; de s’arranger et chacun s’en étoit allé satisfait. J’attendois toujours la grande histoire des piquets; les bonnes gens sont lents à conter ; ce ne fut pas sans de nombreux préam.- C |


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