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cache pour le garder, ou même par des esclaves qui l’auroient fait rôtir et mangé, tant sa renommée lui avoit attiré d’amis. Le pauvre Kees paroissoit sentir douloureusement son esclavage. A la vérité, Boers lui avoit fait construire une très-belle loge ; mais est-il des plaisirs sans la liberté ! Mon singe avoit d’ailleurs une portion de facultés morales qui rendoit sa situation plus pénible qu’elle ne l’eut été à un singe vulgaire. Aussitôt qu’il m’appercevoit, il s’élançoit vers moi de toute la longueur de sa chaine ; c’est à moi sur-tout qu’il sembloit réprocher et mon ingratitude et sa captivité. Le moment de lui rendre le bonheur étoit chaque jour plus voisin ; je savois m’endurcir à ses pressantes marques d’affection j je l’aimois trop pour lui en donner un témoignage imprudent. Je devois tout craindre, en effet, si j ’eusse eu la foiblesse de me laisser aller à la pitié; de lui-même il eut pu m’échapper. Un sentiment plus fort que l’amitié pôuvoit à chaque instant l’entraîner. Il n’en est pas du singe comme des autres animaux domestiques, que leur instinct attache au sol où ils ont été élevés, et qui toujours y deviennent; soit que, comme le chien, ils. soient plus affectionnés pour le maître que pour la maison natale ; soit que, tomme le chat, ils aient plus d’attachement encore pour la maison que- pour le maître. Le singe, au contraire, indocile et récalcitrant, incapable de souvenirs ou pour l’un ou pour l’autre, conserve pour l’indépendance un penchant que ne peut corriger la plus douce et la plus tendre éducation. D’ailleurs, rapproché de l’homme, en .quelque sorte, par les formes et par l’usage qu’il fait de ses membres, il lui ressemble encore par la faculté de se reproduire en tout tems : bien différent des autres animaux à qui la nature a assigné des époques fixes et périodiques au-delà desquelles ils vivent, à cet égard, dans une nullité profonde. Kees étoit vierge encore et n’avoit point connu le plaisir; la plus légère amorce eut embrasé ses sens; il ne falloit qu’un instant pour en faire un singe très - libertin ; et s i, plus constant; plus sage qu’on ne l’est au jeune âge, il eut brûlé pour une seule femelle, son maître auroit été bientôt oublié pour elle; il l’eut suivie au fond des bois et n’en seroit jamais revenu. Très - attaché à Kees > et ne pouvant consentir à le perdre, j’usai de mon pouvoir en despote et l’enchaînai pour en disposer à ma guise. Le. lecteur me pardonnera ces détails minutieux. Us me sont chers a moi, qui n’ai pas de grands exploits à redire ni de brillans écarts où me perdre. J’etois chaque jour plus occupé des projets de mon voyage ; cette nouvelle entreprise entraînoît ¿Le longs préparatifs; je me flattois que ce voyage auroit lieu dans peu de jours; les fatigues de celui que j ’avois fait s’étoient tellement dissipées qu’il me sembloit l’avoir entrepris il y avoit dix ans; enfin, j ’allois repartir. Malheureusement, nous étions dans la saison la plus sèche de 1 annee ; ceux des habitans à qui j’avois confié mes projets et qui y prenoient le plus de part, malgré tout le désir qu’ils témoignoient de me voir çompletter mes découvertes, ne cessoient de me conseiller d’attendre un moment plus favorable pour me mettre en route : on trouvoit le tems contraire et fâcheux : comme si les saisons qui régnent au Cap et dans le voisinage de la mer, devoient être les mêmes à quelques centaines de lieues dans l’intérieur de l’Afrique. J’en avois fait déjà l’expérience, et j ’eus la foiblesse de céder au conseil de ces amis trop timides. Un autre dessein succéda à celui- ci, avec la même vivacité que je l’avois embrassé ; je différai donc mon départ jusqu’à la saison qu’on me représentait comme favorable- on verra dans la.suite combien ces retardemens m’ont été funestes, et à combien de malheurs ils m’ont exposé moi et lès miens. J’avois résolu de m’éloigner du Cap ; la circonstance qui me por- toit à différer mon grand voyage, me déterminoit eïicore mieux à entreprendre celui des environs de cette ville ; c’étoit du moins un aliment à mon impatience, et je trouvois dans cette ressource, la seule qui me restât.au milieu des ennuis dont j ’étois assiégé, quelque dédommagement au délai où m’avoit contraint la saison. Dans le court entretien que j ’avois eu avec Klaas, j ’avois appris que les deux Hottentots à .qui j ’avois confié la garde de mes boeufs et tout l’attirail de ma caravane, avoienl conduit mes animaux, en B a .


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