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peut-etre une des plus juftés caufe de fon indolence apparente fnr la conduite des Colons. Il connoît le génie & le caraâère de ces hommes robuftes prefque tous élevés au milieu des bois. On les menageoit d’autant plus , lors de mon féjour , qu’on fe repofoit fur leurs fecours puiffans du fort de la Ville entière, s’il fût arrivé que les Anglois, dans la guerre de 178 t , fe fuffent préfentés, comme cjn s y attendoit, pour y faire une defcente. Un dernier trait fera connoître à quel point on avoit droit de compter fur eux : dans une alarme mal à propos répandue, en moins de, vingt- quatre heures, on en vit arriver mille à douze cents , qui alloient être fuivis de tous les autres , fi l’on n’avoit donné contre-ordre. J’aurois induit dans une grande erreur fi l’on s’imaginoit, d’après ce que je viens de dire, que ces Colons font tous autant de Çéfars; ils s’en faut de beaucoup , & cela ne s’accorderoit guères avec les détails dont j’ai rendu compte plus haut, en parlant de leur guerre aftuelie avec les Caffres , & de leurs poffeflions de toutes parts , abandonnées & défertes. Nés la plupart dans les rochers, une éducation groffière & fauvage en a fait des Coloffes pour la force; habitués dès leur tendre jeuneffe à épier & à fur- prendre les animaux monfirueux de l’Afrique, ils ne font abfo- lument bons que pour un premier coup de main, ou pour réuffir dans une embufcade; ils ne tiendroient point à découvert en rafe campagne, & ne reviendroient certainement pas à la charge; ils ne connoiffent point le courage par le côté qui fait honneur , mais par celui que donne l’unique fentiment de fa force ou de fon adreffe, & , fi l’on fe rappelle mon aventure avec eux dans la baie de Saldanha, on peut juger qu’elle cadre à merveille avec ce que j’en dis a&uellemement. Il n’en eft pas ainfi de la plupart des femmes. Courageufes avec réflexion, leur lang-froid ne. connaît point d’obftacles ni dç périls ; non moins habiles à manier un Cheval & à faire le coup de fufil que leurs maris , elles font autant infatigables qu’eux, & ne reculeront pas à la vue du danger : ce font de vraies Amazones. J’ai connu une veuve qui gouvernoit elle-même fon habitation; lorfquç les bêtes féroces venoient alarmer fes troupeaux , elle E N A F R I Q U E. ij$> montoit à Cheval , les pourfuivoit à outrance & ne qulttoit jamais prife qu elle ne les eût ou tuées ou obligées d’abandonner fon canton. Dans un de mes Voyages, deux ans plus tard, aux pays des grands Namaquois, j’ai vu fur une habitation très-ifolée, une fille de vingt-un ans qui accompagnoit toujours fon père à Cheval, lorfqu’il fe mettoit en campagne à la tête de fes gens , pour repouffer les Bolîifmans qui venoient les inquiéter ; elle bravoit leurs flèches empoifonnées, les pourfuivoit avec acharnement, les gagnoit à la courfe , & les fufilloit fans pitié. Les Annales du Cap font mention d’un grand nombre de femmes qui fe font diftinguées par des aiîions d’intrépidité, faites pour honorer le plus déterminé des hommes. On s’y entretenoit encore lors de mon arrivée; de la tragique aventure d’une veuve qui vivoit fur. une habitation très-reculée, avec fes deux fils , dont l’aîné avoit dix-neuf .ans. Dans une nuit obfcure, elle & toute fa maifon fut réveillée par les piétinemens & lès. beuglement fourds de fes bêtes à cornes , qui étoient enfermées non loin de là dans un parc. On vole aux armes , on court au bruit : c’étoit un Lion ; il avoit franchi l’entourage , & faifoit parmi les Boeufs, un affreux dégât ; il ne falloit pour arrêter fa fureur, qu’entrer dans le parc , inveftir le féroce animal, & le tuer. Aucun des efclaves & des Hottentots de cette femme n’avoit affez de courage ; fes deux fils même n’oièrent s’y préiènter. Cette veuve intrépide, entre feule , armée de fon fufil, & pénétrant au milieu du défordre, jufques fur le Lion que l’obfcurité de la nuit lui laiffoit à peine entrevoir ; elle lui lâche fon coup ; mal- heureufement l’animal n’étant que bleffé , s’élance fur elle avec fureur & la terraffe. Aux cris de cette pauvre mère, fes deux enfans accourent ; ils trouvent le terrible Lion attaché fur fa proie ; furieux, défefpérés, ils fondent fur lui, & l’égorgent trop tard für le corps enfanglanté de leur mère. Outre les bleffures profondes qu’elle avoit reçues à la gorge & en différentes parties du corps, le Lion lui avoit coupé une main au-deffus du poignet, & l’avoit dévorée; tous les fecours furent inutiles, & cette nuit


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