C’eft ainfi qu’a continué cette guerre , ou plutôt ce brigandage, pendant tout le temps de mon féjour en Afrique. Ce ne font point des fpéculations de commerce , ni l’amour d’aucun fervice qui m’ont conduit au Cap ; l’impulfion feule de mon caraâère, & le défir de connoître des chofes nouvelles ont dirigé mes pas dans cette partie du monde. J’y fuis arrivé libre & dans toute l’indépendance du génie. Je fuis plus fatriiliarifé avec l’intérieur du Pays & les Nations Etrangères qui l’habitent qu’avec aucune des Colonies du Cap, & le Cap lui-même que je n’ai guères connu que dans mes retours. Nul intérêt perfonnel ne me fera foup- çonner de partialité. Mais j’ai vu que, par toute forte de raifons, l ’oeil prévoyant de la Politique s’eft ouvert trop tard fur les éta- bliflemens qui fe font éloignés & s’éloignent encore tous les jours de la Métropole ; j’ai vu que toute l’autorité d’un Gouverneur ne s’étend pas affez loin pour arrêter jufques dans leur fource les défordres affreux qui fe perpétuent & fe multiplient dans l’intérieur du Pays. S’il arrivoit que, continuellement vexés, les Caffres fiffent jamais caufe commune avec les Nations voifines qui commencent auffi à fe plaindre des Colonies , leur réunion cauferoit certainement les plus grands troubles ; & qui fait à quel point s’arrêteroit une femblable confédération qui auroit en même temps des droits imprefcriptibles à défendre , & d’anciennes injures à venger. Le Gouvernement a plus d’un moyen de prévenir ces malheurs ; mais il eft temps de les mettre en oeuvre; le danger croît par ,1e retard. N’eft-il pas arrivé qu’un Gouverneur, inftruit un jour d’une vexation cruelle exercée contre les Sauvages, fit vainement fommer celui qui en étoit l'Auteur de venir au Cap rendre compte de fa conduite ? Le coupable ne daigna pas même répondre à l’ordre qu’on lui fignifia; il continua de plus en plus à tourmenter & à piller comme il l’avoit toujours fait, & fa défobéiffance n’eut aucune fuite & fut même bientôt publiée. Un jour que je m’entretenois de ces abus avec quelques Colons , plufieurs d’entr’eux me dirent qu’ils avoient plus d’une fois reçu de pareils ordres du Gouverneur auxquels ils ne faifoient aucune attention, Je mis un peu trop de chaleur dans cette difpute, & leur répartis que j’étois étonné que, dans ces circonftançes, le Gouverneur ne fit pas accompagner fes ordres par un détachement q u i, en cas de refus, enlèveroit le coupahle , & le con- duiroit fous bonne efeorte à la Ville: « Savez-vous bien , me dit » l’un d’eux , ce qui réfulteroit d’une pareille tentative } Nous » ferions tous dans un moment affemblés, nous tuerions la moitié » de fes Soldats, nous les falerions & les renverrions par ceux » qu’on auroit épargnés, avec menaces d’en faire autant de qui- » conque oferoit fe préfenter dans la fuite ». Telle fut fa réponfe, à laquelle je n’aurois trouvé pour le moment qu’une réplique inutile. Un Peuple de ce caraftère ne fera jamais facile à traiter; il faudra bien de la foupleffe pour le réduire. Je ne regarde pas comme impoflible qu’un jour fçcouant tout-a-fait le joug, il ne faffe peut-être la loi au chef-lieu de la Colonie , & ce jour arrivera Jorfqu’un honftne de tête, s’emparant de la confiance & des efprits de la multitude , viendra leur offrir , fous des couleurs féduifantes, l’image de l’indépendance & de la liberté. Ils ne Tentent que trop déjà la facilité de l’entreprife, & les avantages du fuccès ; il ne faudroit que leur rapeler qu’ils font environ dix mille, tous chaffeurs, déterminés & adroits ; que chaque coup qu’ils tirent eft la mort ; que fans peine & fans aucuns rifques , ils peuvent battre & détruire toutes les forces que le Gouvernement voudroit leur oppofer ; que ^abondance les attend au moment où ils méconnoîtront les loix gênantes & Couvent tyranniques du Gouvernement, qui s’oppofent à tout genre de profpétité particulière ; que , placés dans un fuperbe climat!, poffeffeurs des plus belles terres, & des plus beaux bois du Pays, abondamment fournis de gibier de toute efpèce , ils peuvent , en ajoutant à tous ces avantages celui de la culture des terres & la multiplication des troupeaux, fe procurer de la première main, toutes les reffources des échangés; qu’au moyen des ports & des rades qui hordent partout leur territoire, il ne tient qu’à eux d’attirer l’induftrie étrangère , d’augmenter leur population, leurs richeffes & tous les agrémens d’un commerce extérieur & très-étendu. Le Gouvernement du Cap n’en eft pas à fentir pour la première fois, toute l’importance de ces réflexions, & c’eft là
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