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mais il m’affura que continuellement harcelés, volés & maffacrés par les Blancs , ils s’étoient vus forcés de prendre les armes pour leur défenfe ; il me dit que les Colons publioient par-tout que cette Nation étoit barbare & fanguinaire, afin de juftifier les vols & les atrocités qu’ils commettoient journellement contre e lle, & qu’ils tâchoient de faire paffer pour repréfailles ; que , fous prétexte qu’il leur avoit été enlevé quelques beftiaux , ils avoient fans diftinûion d’âge & de fexe exterminé des Hordes entières de Caffres, dérobé tous leurs Boeufs, ravagé leurs campagnes ; que cette méthode de fe procurer des beffiaux leur paroiffant plus abrégée que celle d’en élever eux-mêmes , ils en ufoient avec tant d’indifcrétion que, depuis un an, ils en avoient partagé plus de vingt mille , & qu’ils avoient impitoyablement maffacré tout ce qui s’étoit préfenté pour les défendre. Hans m’affura avoir été témoin d’une anecdote que je place ici comme il me la raconta. Une troupe de Colons venoit de détruire une bourgade de Caffres ; un jeune enfant d’environ douze ans s’étoit fauvé, & fe tenoit caché dans un trou ; il y fut malheureufement découvert par un homme du détachement des Colons qui, le voulant garder comme Efclave, l’emmena au camp avec lu i;le Commandant, qui le trouvoit à fôn gré , déclara qu’il prétendoit s’en emparer. Celui qui l’avoit pris refufoit obftinément de le rendre ; On s’échauffa des deux ’côtés ; le Commandant alors, outré de colère & comme un forcené , courant à l’innocente viâime, crie à l’adverfaire : « Si je ne puis l’avoir , il ne fera pas non plus pour toi ». Au même inftant, il lâche un coup de fufil dans la poitrine du jeune enfant qui tombe mort. « J’appris encore que plufieurs fois pour s’amufer , ces fcélérats avoient placé leurs prifonniers à une certaine diftance, & difpu- toient d’adreffe entr’eux à qui tireroit le mieux au blanc. Je ne tarirois pas fi je voulois rapporter en détail les atrocités révoltantes qu’on fe permet chaque jour contre ces malheureux Sauvages fans protégions & fans appui. Des confidérations particulières & de puiffans motifs me ferment la bouche ; & , d’ailleurs, qu’eft-ce que la réclamation d’un Particulier fenfible contre le E N A F R I Q U E . defpotifme & la force ? Il faut gémir & favoir fe taire. J’en dis affez pour faire connoître ce que font les Colons dans cette partie de l’Afrique , que l’inertie du Gouvernement abandonne a leur propres excès, & craindroit même de punir. C eft la que fe commettent toutes les horreurs inventées par l’enfer; c’eft dans un Etat républicain qui fe diftingue plus qu aucun autre par la fim- plicité de fes moeurs & fon efprit philantropique, c eft la que l’iniquité la plus coupable demeure impunie , parce qu’on ne daigne pas étendre fes regards au-delà des objets dont on eft environné. Si quelquefois le Gouverneur reçoit quelques nouvelles de ces déportemens affreux , la diftance, le temps qu’il faut pour qu elles arrivent jufqu’à lu i, d’autres raifons peut-être qu’il eft prudent de ne point approfondir , les amènent à la Ville tellement déguifees ou. dénaturées , qu’elles font à peine le fujet des converfations du jour. Un Colon arrive de deux cents lieues loin ; il fe plaint au Gouverneur que les Caffres lui ont enlevé tous fes beftiaux ; il demande un Commando, c’eft-à-dire la permiflion d’aller avec le fecours de fes voifins reprendre le vol qu’on lui a fait. Le Gouverneur ne préfume pas la rufe,ou feint de n’y rien comprendre; il adhère à tous les faits expofés dans la requête qu’on lui met fous les yeux ; il ne voit rien que d’équitable dans la demande de l’im- pofteur ; les informations préalables exigeroient de trop longs délais ; elles feroient pénibles, embarraffantes. Une permiflion eft fi facile à donner ! elle coûte fi peu ! c’eft un mot ! On écrit ce mot fatal ; & l’on ne fe doute pas qu’il eft l’arrêt de mort d’un millier de Sauvages qui n’ont ni la même défenfe ni les mêmes reffources. Le monftre qui trompe ainfi la religion du Gouverneur s’en retourne fatisfait au milieu des complices de fa cupidité, & donne à fon Commando toute l’extenfion qui convient à fes intérêts. C’eft un. nouveau maffacre qui n’eft que le lignai de plufieurs autres boucheries ; car, fi les Caffres ont eu l’audace de récupérer par force ou par adreffe les beftiaux qu’on leur avoit enlevés, en vertu de cet ordre qui vient d?être furpris au Gouvernement , & qui n’aura de fin que lorfqu’il n’y aura plus de victimes, à quel affreux carnage les Colons ne fe livrent-ils pas 1 Vi j


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