Page 93

27f 81

dépouillé le Vaiffeau & en avoient enlevé ce qu’il y avoit de meilleur ; qu’on n’y trouveroit peut-être rien, du fi peu de chofe qu’on n’en rapporteroit pas de quoi compenser les frais & les rifques d’un pareil voyage ; & qu’ils laifferoient , pendant leur abfence, leurs femmes & leurs enfans expofés à être maffacrés par les Caffres. Je fentois intérieurement qu’il n’y avoit rien qui pût les tenter dans cette expédition : ils ne pouvoient enlever beaucoup de beftiaux aux ennemis ; car, après s’en être partagé plus de vingt- mille depuis le commencement des hoftilités, il ne devoit pas en relier beaucoup à ces Sauvages , qui , pour conferver ceux qu’ils avoient réchappés du pillage, les avoient retirés fort avant dans l’intérieur de leurs terres. Je fis tous mes efforts pour combattre les raifonnemens de cet homme, & lui dis affez de fois qu’il oublioit fur toutes chofes les malheureux pour qui j’étois venu folliciter des fecours. Mais il avoit entraîné fes camarades ; & dès lors aucun d’eux ne montra le moindre penchant à me feconder. N’ayant plus à compter fur des profits , il ne falloit plus compter fur leur afliltance. J’aurois vainement tenté plus long-temps de les ébranler; jq me répandis en imprécations. Je les menaçai de toute l’animad- verfion du Gouvernement ; je leur fouhaitai des nuées de Caffres ; autour de leur habitation ; & , dans la crainte que leur exemple n’influât jufques fur les miens, parmi lefquels j ’en trouvois quelques uns qu’un peu d’obéiffance & d’amitié attachoit encore à ma perfonne, je m’éloignai fur le champ & me remis en route. J’avois remarqué qu’ils étoient renforcés par une troupe affez nombreufe de Métis Hottentots ; cette première efpèce efl: cou- rageufe , entreprenante , tient plus du Blanc que du Hottentot, qu’il regarde au-deffous de lui ; ils avoient toujours été les premiers à marcher contre les Caffres, & s’étoient fignalés dans toutes les rencontres. Cela me fit naître l’idée de laiffer en arrière trois de mes gens, avec ordre de fe faufiler parmi eux , & de faire en forte d’en engager quelques-uns à me fuivre , fur-tout ceux qui connoiffoient le Pays & la langue des Caffres; je les inftruifis comme il il faut, avant de lès laiffer partir ; & , voulant me rendre au-delà de la rivière Klein-Fis , je la leur aflignai pour rendez-vous. J’y arrivai, en trois heures de temps , par de très-mauvais chemins> & je fis halte après l’avoir traverfée. Il fallut y coucher pour attendre le retour de mes gens , & des nouvelles du fucces de leur négociation ; j’avois vu quelques empreintes de Lions ; je me précautionnai contre les furprifes de ces animaux , autant que contre celles des Caffres. Je n’aurois pas eu beaucoup d inquiétude fur le compte de ces derniers , s’il m’eût été poflible de trouver un moyen de leur faire favoir que je n’étois ni de la nation, ni de l’avis, ni du nombre de leurs perfécuteurs ; mais ils pouvoient tomber à l’improvifte fur mon camp, & y caufer bien du dommage, avant que nous nous fuflions expliqués. Cette confi- dération m’engagea à choifîr, pour cette fois contre ma coutume ordinaire , une élévation dont la vue s’étendît un peu loin- J’y fis dreffèr ma tente, ranger mes chariots & toutes mes betes ; puis, à quelques pas de là, je fis conftruire quelques fauffes huttes; enfuite nous allâmes placer ma tente canonnière à une portée de fufil de ce camp; je la fis mafquer avec des branches d’arbre., pour qu’elle ne fût point aperçue ; c’étoit là que je comptois paffer la nuit avec tous mes gens ; par cette manoeuvre je donnois le change à l’ennemi : s’il fe fut en effet préfenté , croyant me furprendre dans mon camp , il s’y feroit à coup fûr jeté à corps perdu ; c’eft alors que j’aurois eu le temps d’arriver fur lui / & de le furprendre à mon tour. La nuit ne fut pas franquille. Nos chiens nous donnèrent beaucoup d’inquiétude, & nous ne dormîmes point. A la pointe du jour, je vis arriver de loin mes trois Hottentots ; ils amenoient avec eux trois Etrangers ; l’un nommé Hans, fils dan Blanc & d’une Hottentote , avoit prefque toujours vécu parmi lés Caffres ; il en parloit facilement la langue ; quelques verres d’eau de vie d’Orléans que j’avois en réferve, m’eurent bientôt gagné toute fa confiance, & je lui fis conter tout ce qu’il favoit fur les affaires préfentes. Ce qu’il m’apprit me confirma dans l’opinion que les Caffres,en général, font pacifiques & tranquilles; Tome /. V


27f 81
To see the actual publication please follow the link above