Page 88

27f 81

employer le même manège; mais les Pintades mieux inftruites pat le fort de la veille , ne defcendirent point ; au refte , un feul coup de fuiil produifit tout l’effet que j’en avois efpéré. Pendant la nuit, quelques Lions fe firent entendre dans le lointain. Le 23 , après fix heures de marche , nous arrivâmes à une grande & belle rivière le Sondag; elle étoit à plein bord ; le temps tournoit a la pluie ; la crainte d’être encore arrêtés par un débordement , nous fit prendre le parti de traverfer fur des Radeaux; je fis couper le bois néceffaire pour cette conftruûion, & même celui qu’il nous falloit pour l’entourage ordinaire de nos beftiaux, lorfque nous ferions campés ; après quoi je fis embarquer nos voitures pièce à pièce, tous les effets & la moitié de mon monde. Ils allèrent camper de l’autre côté de la rivière, fous la conduite de Stvanepoël ; les beftiaux payèrent à la nage , comme ils avoient fait dans les occafions précédentes ; & , le jour fuivant, avec le refie de la troupe & des effets , je traverfai à mon tour le torrent fur mon Radeau. Les préparatifs , l’exécution , & le rétabliffement de toutes chofes nous occupèrent jufqu’au dernier du mois. Dans l’intervalle , je m’étois procuré plufieurs oifeaux ; j’avois fait faler plufieurs Coitdous ; mais j’avois failli perdre mon pauvre Keès, Ce détail fera mieux connoître que tout ce que je pourrois dire , ma maniéré uniforme & fimple de paffer mes jours. Yétois prêt de dîner, & je dreffois fur un plat , des haricots fecs que je venois de fricaffer , lorfque j’entendis tout-à-coup le ramage d’un oifeau que je ne connoiflois pas. J’eus bientôt oublié & la cuifine & le dîner. Je prends mon fufil & m’élance hors de ma tente. Je revins au bout d’un quart-d’heure , fatisfait de ma courfe, & tenant mon oifeau à la main ; je fus grandement furpris en rentrant, de ne plus trouver une feule fève fur ma table; c ’étoit un tour de Keès ; mais je l’avois fi bien étrillé la veille pour m’avoir volé mon fouper ,- que je ne concevois pas qu’il l’eût fi tôt oublié, ou qu’il eût mis fi peu d’intervalle entre la punition & ce nouveau délit ; cependant il avoit difparu; comme il attendoit toujours la huit pour fe remontrer , lorfqu’ il avoit fait quelque fotife, je favois bien qu'il ne pourroît m’échapper ; c’étoit ordinairement à l’heure de mon thé qu’il fe gliffoit fans bruit, & venoit fe mettre près de moi à fa place accoutumée, avec l’air de l’innocence & comme s’il n’eût jamais été queftion de rien. Ce foir là , il ne reparut pas; & , le lendemain» perfonne ne l’ayant v u , je commençai à prendre de l’inquiétude, & à craindre qu’il n’eût difparu tout-à-fait. J’en aurois été d’autant plus défolé , qu’en outre qu’il m'amufoit fans ceffe, il m’étoit réellement fort utile, & me rendoit des fervices que je n’aurois pu remplacer par d’autres ; mais, ^u troifième jour, un de mes gens qui revenoit de chercher de l’eau , m’affura qu’il l’avoit vu rôder dans le bois voifin , mais que le drôle s’y étoit enfoncé , dès qu’il l’avoit aperçu. Je me mis auflitôt en campagne ; je battis avec mes chiens tous les environs; tout d’un coup j’entends un cri pareil à celui qu’il faifoit toujours lorfqu’il me voyoit arriver de la chaffe , & que je n’avois pas voulu l’emmener avec moi ; je m’arrête , je cherche des yeux; enfin je l’aperçois qui fe caehoit à moitié derrière une groffe branche dans l’épaiffeur d’un arbre. Je l’appelle amicalement , je l ’engage par toutes fortes de bonnes paroles à defeendre & à venir à moi ; il ne s’en fie point à ces lignes de mon amitié & de la joie que me caufoit fa rencontre ; il me force à grimper fur l’arbre pour l’aller chercher. 11 ne fuit pas & fe laiffe prendre ; le plaifir & la crainte fe peignoient alternativement dans fes yeux ; il les exprimoit par fes geftes. Nous rejoignîmes mon camp. C’eft là qu’il attendoit fon fort & ce que je déciderois de lui. J’aurois bien pu le mettre à l’attache, mais c’étoit m’ôter l’agrément de cette jolie bête ; je ne le maltraitai même pas , & voulus être généreux avec lui. Une correction de plus ne l’aursit poin changé ; peut-être en avoit-il plus d’une fois effuyé mal à propos ; car fa réputation, qui prêtoit affez les couleurs de la vraifemblance aux rapports qu’on me faifoit contre lu i, lui nuifoit beaucoup dans mon efprit & me rendçit injufte, fur-tout quand j’avois de l’humeur; on avoit mis fouvent fur fon compte bien des petits vols de friandife dont mes Hottentots eux


27f 81
To see the actual publication please follow the link above