138 V O Y A G E â mes regards, & tout-à-coup du haut d'un tertre , je décou- vrois à vue d’oifeau dans le lointain mon avant-garde qui s’avançoit lentement vers le fommet d’une montagne , tandis que de corps général, qui fuivoit fans tumulte & dans le plus bel ordre , les traces dé ceux qui les avoient précédés , n’étoit encore qu’à mes pieds ; les femmes donnoient à tefter , à manger & à boire à leurs enfans , aflis à côté d’elles fur leurs Boeufs ; les uns pleu- roient ; d’autres chantoient ou rioient ; les hommes en fumant une pipe fociale caufoient entr’eux & n’avoient plus l’air de gens qui fuient plein d’épouvante l’approché d’un ennemi cruel. Un peu plus inquiet que ces machines ambulantes , j’avois les yeux ouverts fur ma poûtion critique, & philofophois de mort côté fur ma bête. A trois mille lieues de Paris ; feul de mon efpèce, parmi tant de monde, entouré, guetté par les animaux les plus féroces, j’étois tenté de m’admirer conduifant pour la première fois dans les déferts d’Afrique, une peuplade de Sauvages q u i, volontairement foumife à mes ordres , les exécutoit aveuglément , & s’en étoit remis à mol feul du foin de fa confervation ; je n’avois rien à craindre d’eux tous colleâivement pris; cependant j ’en voyois qui m’auroient fait trembler, fi, corps-à-corps, il n’y «voit eu entr’eux & moi d’autre juge d’un débat que la force ; mais, au fond j’étois allez convaincu que , là comme ailleurs, ce n’eft pas le plus fort mais le plus adroit qui commande. Nous n’étions pas encore bien avancés, quand mes chiens, qui rôdoient de côtés & d’autres dans les buiffons , fe mirent tous à aboyer & à tenir. La peur s’empara de tout le monde. Ce ne pouvoit être , difoit-on , autre chofe qu’une embufcade de Caffres; je me prêtois difficilement à leurs raifonnemens abfurdes. Comment concevoir que mon avant-garde eût paffé fans être inquiétée? & je venois de l’apercevoir qui fuivoit paiûblement fa route , fans aucune apparence de défordre ; je piquai des deux, & lorfqu’à travers les buiffons je fus arrivé fur la voie , je fus bien étonné de ne voir qu’un Porè-Epic qui fe défendoit au milieu de mes chiens ; je le tuai & fur le champ, dans la crainte que ce coup de fulil -ne fît faire quelque fottife à mes gens, je revins auprès d’eux ; & , par mes plaifanteries fur leurs terreurs paniques, ils purent juger que je ne me démontois pas aifément. Le Porc-Epic fe défend à merveille. Ses piquans le mettent à l’abri de toute atteinte ; lorfque le chien l’approche , celui-là prend fa belle , & fe jette de côté fur lui ; une fois touché , le chien ne revient plus à la charge. 11 lui relie toujours dans les chairs quelques-uns des piquans; cela le décourage & le fait fuir. Un de mes Hottentots fut incommodé pendant plus de lix mois pour en avoir été bîeffé à la jambe. M. Mallard , Officier du régiment de Pondichery, au Cap de Bonne-Efpérance , fut piqué en harcelant un de ces animaux ; il s’en fallut peu qu’il ne perdît la jambe; & , malgré tous les foins qu’on prit de fa perfonne, il fouffrit cruellement pendant quatre mois entiers dont il paffa le premier dans fan lit. Au relie le Porc-Epic elt un excellent manger ; on le voit avec plaifir fur les tables les mieux fervies du Cap , lorfqu’il a été foigneufement fumé. Après une heure & demie de marche, je fis halte ; mais nous n’arrêtâmes que le temps qu’il falloit pour ramaffer une bonne provifion de fel fur les bords d’un Lac d’eau falée, qui fe trou- voit dans notre chemin; & , deux lieues plus loin, je pris les devans pour aller vifiter une habitation que j’apercevois à notre gauche. Elle avoit été faccagée & brûlée par les Caffres; il n’en exilloit plus que quelques pans de murs, tout noircis & calcinés par les flammes, image bien horrible dans le fond d’un défert! Une heure après, je trouvai mon avant-garde arrêtée fur les bords du Kouga ; nous y plantâmes le piquet. Ce Kouga n’eft à proprement parler qu’un ruiffeau ; encore l’eau n’y couloit prefque pas; il n’en étoit refté que dans des creux oü nous trouvâmes quantité de Tortues excellentes ; mais elles étoient très-petites; la plus forte ne pefoit pas trois livres. Je fis faire, avant la .nuit, un abbatis de branchages pour former une efpèce de parc autour de mes bêtes; pendant ce temps là, les femmes ramaffoient de côtés & d’autres tout ce qu’elles pou- voient trouver de bois fec afin, d’alimenter plufieurs feux qu’il S ij
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