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^ 131 V O Y A G E temps a perdu fon nom national, prend celui du nouveau chef qu’on lui donne. On dit alors, par exemple , la Horde du Capitaine Keis ; & le Capitaine Keis devient pour le Gouvernement une nouvelle créature , un nouvel efpion , un nouyel efclave, & pour les liens un nouveau Tyran. Le Gouverneur ne connoît jamais les fujets par lui-meme. Ce ll ordinairement le Colon le plus voilin de la Horde , qui follicite & détermine la nomination pour une de fes créatures, parce qu’il comptç fur la reconnoiffance d’un auffi bas protégé, & que celui-ci mettra tous fes vaffaux à fa difcrétion , lorfque le befoin l’exigera. C’eft ainli que, fans informations préliminaires , fans égards comme fans jultice, on contraint une Horde impuiffante & fans forces, à recevoir la loi d’un homme incapable fouvent de la commander ; c’eft ainli que l’intérêt d’un feul l’emporte fur l’intérêt général dans les grandes & les petites affairés , & que les révolutions d’une République, ou la puérile éleôion d’un Syndic de village, partant d’un même principe, fe reffemblent également par les effets. Tels font en général les Hottentots, connus aujourd’hui fous le nom de Hottentots du Cap, ou Hottentots des Colonies ; il faut bien fe garder de les confondre avec les Hottentots Sauvages, qu’on nomme par dérifion Jackals-Hottentot, & qui, fort éloignes de la domination arbitraire du Gouvernement Hollandois, confer- vent encore, dans le défert qu’ils habitent, toute la pureté de leurs moeurs primitives. Parvenu au point de mon Voyage, où n’ayant plus de relation avec les premiers que je laiffe derrière moi, j’arrive & me trouve au milieu des féconds ; il n’eft pas néceffaire que j’approfondiffe & détaille ici toutes les différences qui les diftinguent ; pour donner une idée du caraâère de ces derniers, & de ce que je dois attendre d’eux, il fuffit d’une remarque , d’une feule vérité d’expérience : par-tout où les Sauvages font abfolument féparés des Blancs & vivent ifolés, leurs moeurs font douces ; elles s’altèrent & fe corrompent, à mefure qu’ils les approchent ; il eft bien rare que les Hottentots qui vivent avec eux, ne deviennent des monftres. Cette affertion , toute affligeante qu’elle fo it, n’en eft pas moins une vérité de principe qui fouffre à peine une exception ; lorfqifau Nord du Cap, je me fuis trouvé fous le tropique, parmi des Nations très-éloignées , quand je voyois des Hordes entières m’entourer avec les lignes de la furprife , de la curioliie la plus enfantine , m’approcher avec confiance , paffer la main fur ma barbe , mes cheveux , mon vifage: « je n’ai rien a craindre de ces gens, » me difois-je tout bas; c’eft pour la première fois quils envi- » fagent un blanc ». Je me fuis livré à cette digteffion d’autant plus volontiers qu’il étoit intéreffant de fixer les regards fur cette partie plus férieufe de mes. excurfions & de mon hiftoirç. J y reviens avec empreffe- ment & j’éprouve fans ceffe un nouveau plaifir a conter ces fim- pies mais délicieufes aventures. Toute la Horde qui avoit eu de la peine à fe féparer de moi, m’accompagna jufqu’à la rivière JLouri, a quatre lieues du Gàmtoos. Nous arrêtâmes pour prendre congé de nos bons amis , les régaler de quelques verres d’eau de vie , & de quelques pipes de tabac. Les femmes qui, pendant mon féjour dans les environs de leurs Kraals , s’étoient attachées à mes Hottentots & qui peut-être auffi regrettoient un peu ma cuifine , vouloient abfolument nous fuivre; mais plufxeurs fois je m’étois aperçu , quoique j’euffe feint de ne le pas remarquer, qu’il s’étoit élevé quelques démêlés entre mes gens ; il s’en étoit fuivi un peu de relâchement dans le fervice ; ainfi je refufai nettement à ces femmes la permiffion de m’accompagner & de refter avec moi. Une feule m’avoit paru fort agiffante; j’avois'remarqué qu’elle avoit grand foin de mes vaches & de mes chèvres ; qu’elle favonnoit & blanchiffoit mon linge fort proprement ; ces raifons intéreffoient affez ma perfonne ; mais un autre motif plaidoit plus fortement fa caufe. Elle étoit devenue la maîtreffe tendrement aimée de mon fidèle Klaas ; les féparer, c’eût été déchirer deux coeurs à la fois , fans nul profit que de me montrer févère & dur envers un être qui m’auroit, en toute rencontre , facrifié fa vie. Par une politique contraire à celle qu’eût adoptée tout autre, je réfolus de la garder; cette marque de préférence faifoit voir à quel point je diftinguois Klaas de fes


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