quoiqu’ils nous euffent dit du danger qu’il y avoit à manger de cette efpèce, mes gens coupèrent la trompe pour moi , & prirent * pour eux les autres parties de l’animal ; j’ai quelquefois rencontré par la fuite des Colons qui croyoient encore aux Eléphans rouges : quelques peines que j'aye prifes à les déperfuader , je n’ai pu rien gagner fur ces efprits prévenus; ils foutenoient le préjugé par le préjugé même. C'étoit une femelle que j’avois tuée ; elle avoit neuf pieds trois pouces de hauteur; l’une de fes défenfes pefoit treize livres, l’autre dix ; cet animal, foit mâle foit femelle , a toujours la défenfe gauche plus courte & moins lourde que la droite ; elle eft auffi plus polie & plus luifante ¡ 'cette différence provient, comme je l’ai dit, de ce que c’eft toujours de gauche à droite que la trompe porte la nourriture à la bouche ; les faifceaux de branchages dont l’animal fe nourrit, néceflitent un frotement continuel fur cette défenfe , tandis que la droite n’eil prefque jamais touchée ; en outre, c’eil avec la même que l’animal eft habitué à fonder la terre : & par les trous plus ou moins larges qu’il y fa it, on peut juger quelle eft fa taille. Lorfque je donnerai la defcription de l’Eléphant, je parlerai de fes moeurs , de fes pallions, de fes goûts & ne dirai que ce que j’ai vu. Je commençois à prendre plailir à cette chaffe que je trouvois enfin bien moins dangereufe que divertiffante. Je ne pouvois comprendre , & l’ai moins compris encore par la fuite , pourquoi les Auteurs & les Voyageurs ont farci de tant de menfonges les récits qu’ils nous ont faits des forees & des rufes de cet animal ; pourquoi ils ont fi fort monté l’imagination fur les dangers où s’expo- fent les Chaffeurs qui les pourfuivent. A la vérité , qu’un étourdi foit en même temps affez téméraire pour attaquer un Eléphant én rafe campagne, il eft mort s’il manque fon coup : la plus grande vîteffe de fon cheval n’égalera jamais le trot de l’ennemi furieux qui le pourfuit ; mais fi le Chaffeur fait prendre fes avantages, toutes les forces de l’animal doivent céder à fon adreffe & à fon fang-froid. J’avoue que fa première vue caufe un étonnement prefque prefque ftupide ; elle eft impofante, effrayante ; mais avec un peu de courage, & de tranquillité, on s’accoutume bientôt à fon afpeél. Avant de fe livrer à cette grande chaffe, un homme prudent doit s’attacher à découvrir le caraCtère , la marche & les reffources de l’animal; il doit fur-tout , félon les circonftances , s’affurer des retraites, pour fe mettre à l’abri de tout péril, s’il arrivoit que, l’ayant manqué, il en fût pourfuivi ; au moyen de ces précautions, cette chaffe n’eft plus qu’un exercice amnfant, un jeu dans lequel il y a cinquante contre un à parier pour le joueur. Tant que je reftai dans ce canton, je variai mes campemens avec mes occupations ; mais toujours je m’attachai aux bords rians du Gamtos. J’y fis une ample moiffon de raretés, & ma Collection s’y accrut fenfiblement. Le 11 Septembre , à fix heures du matin, nous décampâmes ; j’en avois donné connoiffance à la Horde voifine ; c’étoit avec le plus fincère & le plus vif regret qu’elle nous voyoit partir; moi- même je m’en féparois avec peine. Ces bonnes-gens m’avoient infpiré de l’attachement : « tant de douceur & de fimplicité , me » difois-je, peuvent-ils attirer tant de mépris ? Sont-ce donc là » ces Sauvages de l’Afrique, avides du fang des Etrangers, & » qu’on n’aborde qu’avec horreur » } Cette bonhomie & cette affabilité me donnoient d’autant plus de confiance que j’étois réellement alors plongé dans le défert, & que rien ne me promettoit de dangers pour la fuite. Tout ce pays, qui n’eft habité que par Hordes de Gonâquois, diffère effentiellement de celui des Hotten- tots de la Colonie. Ces peuples n’ont entr’eux aucune relation direfte. Ceux-là font appelés Hottentots Sauvages, Je n’irai pas plus avant, fans donner fur eux en général des aperçus certains , fans lefquels on n’a pu, jufqu’ici s’en former que des idées imparfaites. - Ils ne compofent plus, comme autrefois, une Nation uniforme dans fes moeurs , fes ufages , & fes goûts. L’établiffement de la Colonie Hollandoife , a été l’époque funefte qui les a défunis tous, & des différences qui les diftinguent aujourd’hui. Tome I , ^
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