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efpéré , avec tant de monde, détruire jufqu’à la dernière de ces bêtes féroces ; mais trois coups de fufil qui en avoient mis trois à bas , diffipèrent apparemment tout le refte : nous n’en rencontrâmes plus du tout ; le bruit les avoit écartées au loin, de façon que, de ce moment-là jufqu’à notre départ, il ne fut non plus queftion d’Hiennes que s’il n’en avoit jamais exifté. Quelques jours après, nous eûmes une alerte qui pouvoit devenir férieufe ; au milieu de la nuit, nous fûmes tous en même temps réveillés par un bruit épouvantable ; c’étoit un troupeau d'Eléphans qui défiloit & frifoit notre camp. Ils étoient par centaine. J’éprou- vois des tranfes affreufes que mes gens partageoient bien chacun en fon particulier; nous ne nous avisâmes pas d’infulter ces énormes bataillons, ni de leur difputer le paifage. Mon camp, mes animaux, mes voitures & tout mon monde , euffent été pulvérifés en un clin-d’oeil. Il ne s’arrêtèrent point , & mon camp fut refpeâé. A la pointe du jour nous revîmes nos voifins ; ils avoient eu pour eux les mêmes terreurs. Ils venoient particulièrement m’avertir que , fi je rencontrois jamais cette efpèce , il falloit bien me donner de garde de tirer ; que les Eléphans que nous avions vus étoient dangereux, & beaucoup plus méchans que les autres; ils m’affupoient que la chair n’en valoit rien ; quelle donnoit des ulcères à quiconque en mangeoit ; qu’en un mot c’étoient des Eléphans rouges. Des Eléphans rouges! ce mot feul me donnoit envie de les vo ir, & me promettoit de nouvelles connoiffances à acquérir ; car jamais je n’avois ni lu ni entendu dire qu’il y eut des Eléphans rouges. Ces animaux retirés dans le beis , avoient gagné un fond couvert d’énormes buiifons ; il n’eût pas été prudent de les trop approcher, je fis filer des Hottentots par derrière pour former une enceinte, avec ordre de mettre le feu de diftance en diftance , aux herbes sèches'.& de tirer des coups de fufil afin de les obliger de paffer aux pieds d’un grand rocher, fur lequel je m’étois polté avec mes meilleurs tireurs; nous ne pouvions y courir aucune efpèce de danger.. Mes traqueuts me fécondèrent merveilleufement ; aulîitôt que les feux & les coups de fufil eurent donné l’alarme , toute la troupe épouvantée fe préfenta devant moi; une douzaine de décharges auxquelles ils ne s’attendoient pas les fit reculer avec précipitation , & dans le plus grand défordre j’effayerois en vain de rendre les fignes multipliés de leur fureur; ils fe voyoient d’un côté pourfuivis par le feu des brouffailles qui les gagnoit par derrière ; de l’autre , par mes décharges au feul paifage qui leur reliât pour échapper à la mort ; ils s’agitoient autant que le pouvoient permettre la pefanteur & l’énormité de leurs maffes : leurs cris affourdiffans, & le craquement des arbres qu’ils brifoient, pour reculer ou pour fuir, formoient un choc, un tumulte épouvantable , dont le fpeâacle m’effrayoit moi-même quoique je fuffe à l’abri fur mon rocher, & que je ne puffe être inquiété en aucune façon. Nous en avions bleffé un qui s’étoit un moment écarté de l’enceinte, mais qui venoit d’y rentrer; confondu avec les autres, ils nous eût été difficile de l’ajufter de nouveau. A la nature de fes mugiffemens, je penfai qu’il étoit. bien frappé & ne tarderoit pas à expirer; nous ne jugeâmes pas à propos daller a lu i, bien certains qu’il ne pourroit nous échapper. Je n’avois eu d’autre deffein, dans cette nouvelle chaife, que de me procurer un de ces animaux, qu’on difoit d une efpèce différente de tous ceux que j’avois vus jufques-là; fatisfait den avoir bleffé un , & le tenant pour mort, je remis au lendemain à le trouver ; en conféquence je rappelai tous mes gens, & nous regagnâmes le camp. J’avois en effet été frappé de la couleur rougeâtre de ces animaux, & je trouvois ce phénomène extraordinaire ; mais , ayant remarqué que la terre fur laquelle nous étions alors, avoit a peu près la même teinte , & réfléçhiffant que l’Eléphant aime & paffe une partie de fon temps à fe vautrer dans les endroits humides & marécageux , je me doutai que cette couleur n avoit d autre caufe , & qu’elle étoit purement faâice. J’en fus mieux convaincu , lorfque , revenu au bois le lendemain matin avec tout mon monde, je trouvai notre Eléphant mort, chacun demeura perfuadé que nos voifins s’étoient trompés; & ,


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