ou bien l’animal étoit une roche inattaquable. Cependant dès qu’il fe fentit frappé il vint à nous avec fureur; nous nous y étions attendus : au moyen des grolTes touffes de brouffailles qui nous fervoient comme de rempart, il ne fit que frapper la terre, & s’impatienter : il perdoit beaucoup de fang ; mais, au train dont il detala, il étoit inutile de penfer à le fuivre ; j’en eus beaucoup de regret : c’étoit le plus beau que j’euffe vu jufqu’à ce jour. Il portoit au moins douze à treize pieds de haut ; à vue d’oeil nous jugeâmes que fes défenfes pefoient plus de cent-vingt livres chacune. Nos viandes bien sèches & encaquées, nous partîmes pour rétrograder encore vers le fatal trou du Kayman , où j’avois paffé le 30 Avril, deux mois auparavant. Mes Hottentots, que j’avois envoyés à la découverte , me rapportèrent que nous pourrions traverfer la chaîne des montagnes , à celle qu’ils nommoient la tête du Diable, & nous en prîmes la route. Chemin faifant, je revis mon ancien camp de Pampoen-Kraal, & lui jetai un dernier regard de complaifance. Arrivé au pied de la montagne , je fis charger, fur une voiture, la tète d’Eléphant que j’avois difféquée, les défenfes, tout ce que j’avois de préparé en oifeaux, infeftes, &c. & laiffant encore une fois mon camp à la garde de tues fidèles ferviteurs , je me rendis avec mon chariot chez M. Mulder: obligé de rebroufler chemin , comme on l’a v u , pour trouver un paffage, je m’étois confidérablement rapproché de fa demeure. Il fe chargea, de faire paffer ma Pacotille & de nouvelles lettres à M. Boers par la première occafion. Je pris enfin congé de fa vénérable famille que je ne devais plus revoir , & je rejoignis mon camp. Dès le lendemain , de grand matin , nous grimpâmes la montagne, non fans beaucoup de peine & de fatigues -, mais ce ne fut rien en comparaifon de celles que nous caufa fa defcente ; j’en fus effrayé : quand nous l’apperçûmes d’abord , chacun de nous fe regarda fans proférer un feul mot, comme des. gens pris au piège fans s’y être attendus.. Noits ne pouvions: cependant demeurer fur le pic; il falloit bien defcendre d’un ou d’antre côté. Si nous nous laiivioos de Carybde. v nous tombions, dans. Scylla. Scylla. Toujours perfuadé que la patience & les précautions triomphent des plus grands obllacles, j’avois peine à croire que cette entreprife fût moins impraticable pour ma caravane , que ne l’avoit autrefois été le paffage des Alpes à des armées innombrables & je me préparai, pour ainfi dire, au faut périlleux. Je pris foin de ne faire defcendre mes voitures que les unes après les autres. Je voulus qu’elles ne fuffent attelées que de deux Boeufs. Je fis avancer la première en bon ordre ; tout mon monde l’efcortoit. 11 nous fallut paffer tantôt fur des pointes de rochers entièrement ifolés qui , faifant autant de degrés efcarpés , donnoient à ce chariot des faccades à le rompre tout-à-fait; mais ce n’étoit point la ce qui nous paroiffoit le plus dangereux ; au moyen des cables que nous avions attachés aux roues, nous les foulevions ou les laiffions rouler au befoin. C’étoient les places unies & les pentes gliflantes qui nous faifoient frémir ; à chaque inftant, je voyois dériver k voiture & les Boeufs jnfqu’aux bords des précipices. Nous marchions fur les côtés oppofés aux pentes , en pefant avec force fur les cordages attachés au chariot. Nous dûmes à notre adreffe un entier fuccès. Nous remontâmes pour chercher les deux autres voitures ; & , après beaucoup de temps , ïoute la caravane arriva heureufement au pied de la montagne. Il me fembloit que la Nature m’eût oppofé cette barrière comme un obftacle qui m’in- terdifoit l’entrée de ce nouveau Pays , & que ce fût là qu’elle eut caché fon plus beau tréfor ; j’en étois d’autant plus irrité ; je favois que cette route d’Auteniquoi à l’Ange-Kloof paffoit pour impraticable chez les naturels du Pays, & que perfonne , avant moi, ne s’y étoit hafardé avec des voitures^ il n’en falloit pas davantage a l’amour-propre ; j’eus le bonheur de franchir ces rochers; mais., comme li la punition avoit dû fuivre de près une aufli téméraire tentative , je me trouvai dans le plus noir & le plus affreux des déferts. Ce n’étoit plus ce délicieux & fertile Pays d’Auteniquoi ; la montagne que nous venions de traverfer , difons mieux, dont nous venions de nous précipiter, nous en féparoit à jamais. Elle ne pouvoit plus nous offrir ces forêts majeftueufes que nous Tome /, Q
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