oifeaux, & les brillantes colleâions, en un mot, redevenu, pour cette fois , un enfant, j’imaginai, pour me divertir , ce que dans un certain monde , on nomme une folle journée, & dans un ordre inférieur, tout naturellement, une farce. Je m’étois montré un peu trop généreux dans la diftribution du tabac. Ils en avoient plus qu’il n’en falloit pour s’enivrer» fi je les avois laiffés faire ; mais je roulois dans ma tête un moyen de les en empêcher. Je m’étois aperçu que la troifième charge des pipes tiroit à fa fin ; je n’eus pas plutôt pris mon thé à la crème » que je me fis apporter un petit coffret que je plaçai fur mes genoux. Je l’ouvris ; jamais Charlatan n’y eût mis autant d’adreffe & de myûère. J’en tirai ce noble & mélodieux inftrument, inconnu peut-être à Paris, mais affez commun dans quelques Provinces, & qu’on voit dans les mains de prefque tous les Ecoliers & du Peuple, en un mot une Guimbarde. Je commençois à peine un air de Pont-Neuf, que je vis tout mon monde defcejidre filencieufement les pipes, & me conûdérer, bouche béante, le bras à demi tendu, les doigts écartés dans l’attitude, de ces gens qu’une bonne vieille vient d’enforceler ; mais leur extafe n’égaloit point encore leur plaifir ; toutes les oreilles dreffées, & les têtes immobiles, penchées de mon côté, ne perdoient pas le moindre fon del’inftru- ment ; ils ne purent tenir à leur enthoufiafme ; chacun infenfi- blemênt quitte fa place pour s’approcher & jouir de plus près ; je crus voir le moment où tous enfemble alloient fie proflerner devant le Dieu qui opéroit ces prodiges ; je riois en moi-même comme un fou , & faifois mes efforts pour ne pas éclater ; ce qui eût bientôt diflipé le preûige. Quand je l’eus favouré à mon aile, je me faifis de celui de mes gens qui fie trouvoit le plus près de moi, & l’armai de mon Luth merveilleux. J’eus beaucoup de peine à lui faire comprendre la manière de s’en fervir ; lorfqu’il y fut tant bien que mal arrivé , je le renvoyai à fa place. Je m’étois bien douté que les autres ne feroient contens que lorfqu’ils auroient aufli chacun le leur. Je diftribuai donc autant de Guimbardes que j’avois de Hottentots à ma fuite ; & , ramaffés enfemble, les uns faifant bien, les autres faifant mal, d’autres plus mal encore, ils me régalèrent d'une mufique à épouvanter les furies •, jufqu a mes Boeufs, inquiétés de ce bourdonnement affreux, & qui fe mirent à beugler, tout mon camp fut le théâtre d’un charivari dont rien n’offre d’exemple. G’étoit, de toutes parts, l’image d’un vrai jour de fabbat. A l’air de ftupéfaüion dont je les avois frappés , en effayant moi-même l’inftrument ridicule, je m’étois perfuadé qu’on étonne de fimples efprits avec de bien fimples moyens; & , malgré tout ce que raconte i’biftoire des grands talens d’Orphée , & des miracles de fa mufique , je fuis toujours tenté de faire honneur aux Poètes de cette Lyre harmonieufe , que leur feule imagination a divinifée. Lorfque je me fus fuffifamment rempli des accords de la mienne, & que je craignis que ces plaifanteries ne fe changeaffent en alarmes férieufes, & que mes Boeufs, qui n’avoient point oublié les têtes d’Eléphant, ne priffent abfolument l’épouvante, & ne décampaffent, je fis ligne de la main que j’avois encore quelque chofe à dire ; tout le bruit ceffa. « Mes chers enfans , ajoutai-je d’un ton fimple ,, & cordial : je vous ai régalés du meilleur tabac que vous ayez » jamais goûté ; je vous ai fait connoître un infiniment mer- » veilleux ; nous allons à préfent terminer cette fête charmante » par une rafade générale du meilleur Brand-Wyn François , & » ,nous le fablerons à la fanté de nos familles & de nos amis». C’étoit, comme je l’ai dit, un vrai jour de carnaval; & jufqu’aux bêtes domettiques , tout devoit fe reffentir de la folie commune, & prendre part à nos orgies. Keès étoit dans ce moment à côté de moi, 11 aimoit cette place ; les foirs fur-tout il ne manquoit pas de s’y rendre. Elevé comme un enfant de famille, je l’avois paffablement gâté. Je ne buvois ou ne mangeoîs rien que je ne le partageaffe toujours avec lui. S’il m’arrivoit quelquefois de l’oublier , ennemi juré de mes diftraûions, il avoit grand foin de m’arracher à mes rêveries par quelques coups de fa main , ou le bruit de fes lèvres. J'ai dit que la gourmandife le poignoit avec force ; ion tempérament le portoit aux extrêmes ; il aimoit également le lait & l’eau de vie. Jamais je ne lui faifois donner de
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