Je touche encore à l’un de ces momens qu’on ne retrouve point deux fois dans la vie ; que mon ame fe fent émue! Je dirai mal tous fes plaifirs & fes tranfports ; il faudroit' être un autre pour affembler tant d’idées & de fentimens divers ; celui qui les éprouva n’y peut fuffire ; ils l’agitent ; ils l’oppreffent ; il en eft accablé. Obligé de retourner à pied , j’aperçus en route à travers les arbres , un Etranger à cheval, un Hottentot qui ne m’étoit point connu ; comme je voyois qu’il coupoit au court pour me joindre, je l’attendis ; c’étoit un exprès envoyé par M. Boers ; il avoit eu ordre de s’informer de moi dans tous les cantons des Colonies où je pouvois avoir pafle , & de me fuivre à la trace lorfque, quittant les chemins connus, je me ferois enfoncé dans le défert ; cet homme avoit exaûement rempli fa comtnifiion ; & , fuivant l’empreinte de mes roues, elles l’avoient conduit à tous mes divers campemens, & de là jufqu’à moi. Avant de quitter le Cap , Moniteur Boers m’avoit promis que,’ fi pendant mon abfence il recevoit pour moi des lettres d’Europe, quelque route que j’eulïe tenue , quelque lieu que j’habitafle , il me les feroit parvenir ; ce refpedable ami m’avoit tenir parole ; dans le paquet que fon Hottentot me remit de fa part, j’en trouvai plufieurs qui portoient le timbre de France ; c’étoient les premières nouvelles que je recevois depuis mon départ d’Europe ; qu’on fe figure mon impatience & le trouble de mes fens en prenant ces lettres des mains de l’Envoyé ; dans l’incertitude de ce que j’allois apprendre j’avois à peine la force de les ouvrir; on devine bien que je n’attendis pas que je fuffe de retour au camp, pour me fatisfaire. Elles étoient toutes de mes plus chers amis, & de ma femme ; mon oeil les parcourut plus vite que l’éclair ; je n’y voyois par-tout que des fujets de félicité ; j’étois aimé , regretté. La tendre amitié venoit me chercher jufqu’au fond de mon défert, pour inonder mon coeur de fes voluptés ; je ne pouvois ni parler , ni foupirer , ni pleurer ; je ne pouvois que relier à cette place , & mourir de ma joie; peu à- peu je repris mes fens ; & je revins à mon camp. Ces premiers élans appaifés, je m’enfermai dans ma tente ; & , donnant un libre cours à mes larmes , je me trouvai foulagé, & me mis en devoir de répondre fur le champ. Je datai mes lettres du G AMP d’AUTENIQUOI , JOUR o ù J’a v o i s t u é q u a t r e E l è p h a n s . L’une de ces lettres , qui contenoit des détails inté- relfans adreffés à un Sçavant, courut ridiculement, il y a quelques années, tout Paris, & s’eft perdue depuis. J’y prenois date de quelques découvertes qui contrarient fort les opinions reçues jufqu’à ce jour, & dont je rendrai compte dans mes defcriptions d’animaux. La nuit venue , le camp rangé, & les feux faits, je m’y plaçai à mon ordinaire , mes papiers fur mon bout de planche, & mes Hottentots autour de moi. « Mes amis , leur dis-je, vous voyez » un homme, un de vos compatriotes que M. Boers envoie pour » s’informer de ce que je fuis devenu, pour favoir de moi-même » fi votre conduite répond à ce qu’il attend de vous, & a ce » que vous me devez. Voilà ( en leur montrant la première lettre » qui me tomba fous la main ) , voilà la réponfe que je lui fais, » je lui apprends que , jufqu’à ce jour, vous vous etes comportes » en braves & honnêtes gens; que, depuis huit mois que nous » voyageons enfemble, je vous regarde comme les fidèles cojn- » pagnons de mon entreprife , & de mes travaux ; je lui dis qu’il »> doit être fans inquiétude à mon égard , parce que je compte » fur vous comme fur moi-même ; & , afin que de retour au Cap » l’envoyé de M. Boers puiffe affurer vos amis & vos familles que » vous vous portez bien, que vous êtes contens & heureux avec » mo i j e veux qu’il foit témoin de la façon amicale avec laquelle » je vous traite, & je vais, en conféquence , diltribuer à chacun » de vous , un bout d’excellent tabac ; je prétends que toutes les » pipes s’allument à l’inftant» . La diftribution faite, chacun fe remit à fa place, & s’enfuma tout à fon aife. J’étois fi joyeux des témoignages d’affection que je recevois des miens , de leurs proteftations vives d’attachement , des ’ détails exaits & marqués au coin de la eomplaifance & de l’intimité qu’on me donnoit dans toutes les lettres , qu’enivré de plaifir, oubliant pour ce moment & l’Afrique, & la ehaffe , & les plus beaux Pij
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