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tête celui qui fe trouvoit le plus près de moi, & en moins de dix minutes, je mis de même les trois autres à terre (*). Nous nous imaginions qu’il n’y en avoit plus ; mais un grand bruit à côté de nous, nous ayant fait tourner la v u e , un de mes Hottentots, qui aperçut un petit Eléphant, le tua ; j’en eus beaucoup d’humeur , & le réprimandai fortement. Ge jeune animal n’étoit pas plus gros qu’un veau de cinq à fix mois ; j’aurois pu facilement l’apprivoifer. Parmi les quatre que j’avois tués , il y avoit un jeune mâle de fept pieds un pouce de hauteur ; fes défenfes ne pefoient guères qu’environ quinze livres chacune. La plus grande des trois femelles n’avoit que huit pieds cinq pouces , & , en général, leurs défenfes ne paffoiént pas quinze livres par pièce. Mais une fingularité qui nous émerveilla, mes Hottentots & moi, dont ils m’affurèrent n’avoir jamais vu d’exemple, & que les Naturaliftes, félon leur louable coutume de n’avouer pour principes invariables & . sûrs que la routine -des livres & des chaffeurs de cabinet, révoqueront probablement en doute, c’eft que la femelle, que nous jugions être la mère du petit mâle-, n’avoit qu’un feul teton placé au milieu de la poitrine. Il étoit plein de lait; j’en tirai, dans ma main; je le trouvai allez doux; mais le goût n’en étoit point agréable. Ge lait fortoit par huit petites ftigmates bien fentibles & très-diftinâes ; les autres avoient les deux feins placés à l’ordinaire fur la poitrihe , de la même forme que ceux des ‘femmes, & d’une proportion telle , que plus d’une petitemaîtreffe, que défoie un peu trop d’embonpoint, eut envié ce charme à mes femelles d’Eléphant. Le petit mâle qu’avoit tué mon indifcret Hottentot, ne mon- troit point encore de défenfes; en lui écartant les lèvres, je ne vis à l’endroit où elles doivent pouffer, qu’un point blanc de la grdffeur d’une chevrotine; fa viande étoit fort délicate. ( * ) Lorûjüe les Eléphans font én troupe & preifts, fi le-tombe mort, on peut fe promettre de les abattre tous , les unpsr eamprièesr lqesu 'oanu trae s.t iJrée reviendrai fur cette fingularité. , J’efpérois J'efpérois découvrir un foetus dans l’une des femelles ; je m’é- tois trompé. Je trouvai leur eftomac rempli d’une eau très-limpide; mes gens en burent; j’en voulus goûter auffi; mais elle me donna des naufées ii défagréables, qu’autant pour en faire paffer le g«ût, que pour me rafraîchir , je m’en allai boire à une fontaine éloignée d’un quart de lieue de l’endroit ou nous étions. J’avois laiffé mes gens occupés à dépecer nos Eléphans. Revenu de la fontaine au bout d’une demi-heure , je trouvai bien extraordinaire de n’en plus apercevoir un feul. Que pouvoit-il être-arrivé qui les eût forcés d’abandonner l’ouvrage. Je ne pouvois concevoir la caufe de cette défertion fubite. Je me mis à crier de toutes mes forces , pour les rappeler, s’ils pouvoient m’entendre ; je fus bien étonné , lorfqu’à ma voix, je les vis fortir tous quatre du corps des Eléphans dans lefquels ils s’étoient introduits pour en détacher les filets intérieurs, qui après les pieds & la trompe, font les morceaux les plus délicats. J’avois dépêché mon cinquième Hottentot au Camp , pour dire à Swanepoël de m’envoyer un attelage de Boeufs , & une chaîne. Nous avions tranché les quatre têtes, quand tout cela arriva. On commença par les enfiler avec la chaîne ; mais ce ne fut pas une petite cérémonie de faire approcher les Boeufs , & de les atteler à ces têtes. Ils fouffloient avec violence ; écart oient les nafeaux ; ils reculoient d’horreur. Cependant nous parvînmes à les ramener par la rufe; & ils furent attelés aux quatre têtes; c’eft ainfi qu’ils les trainèrent jufqu a ma tente , à travers les fables , la pouflière, & les buiffons , imprégnés de leur fang ; fpeâacle horrible fans doute, mais néceffaire, le chemin étant fi difficile, que jamais un chariot ne feroit venu jufqu’à nous ! Mais ce fut bien pis, lorfque voulant retourner aux Eléphans près defquels j’avois laiffé une partie de mon monde, je ne pus jamais faire paffer mon cheval par fes endroits tout fouillés de leur fang ; je fus contraint de le conduire par un autre chemin; & , lorfqu’àrrivé près des Eléphans il en eut’ fenti Fodefir & les eut aperçus, il fe cabra , s’emporta , me jeta par terre ; & , prenant fa courfe par un très-long détour , il regagna le gîte. Tomt I. P


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