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noître la forme ; mais il avoit fi bonne mine, il exhaloit une odeur fi fuave, que je m’empreflai d’en goûter ; c’étoit bien un manger de Roi ; quoique j’eufle entendu vanter les pieds de l’Ours , je ne concevois pas comment un animal aufli lourd, aulfi matériel que l’Eléphant , pouvoit donner un mets fi fin , fi délicat : “ Jamais, » me difois-je intérieurement, non jamais nos modernes Lucullus » ne feront figurer , fur leurs tables , un morceau pareil à celui » que j’ai préfentement fous la main ; vainement leur or convertit » & bouleverfe les faifons ; vainement ils fe vantent de mettre à » contribution toutes les contrées; leur luxe n’atteint point jufques- » là ; il eft des bornes à leur cupide fenfualité » ; & je dévorois fans pain le pied de mon Eléphant ; & mes Hottentots, aflis près de moi, fe régaloient avec d’autres parties qu’ils ne trouvoient pas moins excellentes. Ces détails paroîtront puériles , ou tout au moins indifférens au plus grand nombre de Leéleurs ; il faut tout dire , puifqu’on n’a jufqu’ici que des Notions bizarres ou d’abfurdes Romans fur le Pays fingulier que je parcours. Nous employâmes le reile de la matinée à arracher les défenfes; comme c’étoit une femelle , elles ne pefoient guères que vingt livres; la bête avoit huit pieds trois pouces de hauteur. Mes gens fe chargèrent de toute la viande qu’ils pouvoient porter, & nous reprîmes là route du camp. Nous nous étions propofé de fuivre la pifte de celui qui m’avoit laiffé la viet & que nous avions fi cruellement maltraité ; mais il en étoit venu tant d’autres, pendant la nuit, que les traces fe trouvèrent confondues. Nous étions d ailleurs fi fatigués ; je craignois tant de rebuter ces pauvres gens ! je les ramenai au plus vite. _ I Que la vue eft un fens fubtil dans le Hottentot ! qu’il le fécondé par une attention difficile & bien merveilleufe ! Sur un terrein fec où malgré fa pefanteur l’Eléphant ne laiffe aucune trace, au milieu des feuilles mortes, éparfes & roulées par le vent, l’Africain recon- noît le pas de l’animal ; il voit le chemin qu il a pris, & celui qu il faut fuivre pour l’atteindre ; une feuille verte retournée ou détachée , un bourgeon, la façon dont une petite branche eft rompue, tout cela & mille autres circonftances font pour lui des indices qui ne le trompent jamais; le chaffeur Européen le plus expert y per- droit toutes fes reffources ; moi-même je n’y pouvois rien comprendre ; ce n’eft qu’à force de temps & d’habitude que je me fuis fait à cette partie divinatoire de la plus belle des chaffes ; il eft vrai qu’elle avoit pour moi tant d’attraits qu aucun des plus petits éclairciffemens n’étoient dédaignés; jem’inftruifois, chaque jour, de plus en plus; & ; lorfque je rôdois dans les bois avec mon monde, nous paffions les journées en queftions , & 1 épreuve fuivoit quelquefois le précepte. De retour au camp , mon vieux Swanepoël me dit que, pendant mon abfence, il avoit été , toutes les nuits, inquiété par des troupes d’Eléphans qui s’étoient fi fort approchés qu’on les entendoit cafter les branches , & brouter les feuilles ; je fis un tour dans la forêt , & je vis , effeûivement quantité de jeunes arbres caftés, des branches dégarnies, & de jeunes poufles dévorées. C’en étoit aftez pour me remettre en campagne. Mes gens avoient eu tout le temps de repofer; j’aimois mieux aller furprendre de jour ces animaux, que de les attendre chez moi pendant la nuit; dès le matin j je me mis fur la pifte ; je ne fus pas oblige de courir bien loin ; car , du haut d’une colline, a la lifière du bois, j’en aperçus quatre dans de fortes brouflailles ; je fis en forte de n’en point être. éventé ;& , m’approchant avec précaution, je me donnai le plaifir de les confidérer a mon ai fe 3 pendant plus dune demi-heure ; ils étoient occupés à manger les extrémités des buif- fons. Avant de les prendre , il les frappoient de trois ou quatre coups de trompe ; c’étoit, je crois , pour en faire tomber les fourmis ou d’autres infeâes. Après ce préliminaire, ils formoient toujours, avec la trompe , un faifceau de toutes les branches qu elle pouvoit entourer, & le portant à la bouche, toujours de gauche à droite, fans le broyer beaucoup , ils l’avaloient. Je remarquai qu’ils donnoient la préférence aux branches les plus garnies de feuilles , & qu’ils étoient en outre très friands d’un fruit jaune, quand il eft mûr, & quon nomme Ccrifitr dans le pays. Lorfque j’eus fuffifamment examiné leur manège , je tirai à la


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