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le champ détaler une trentaine qui s’enfuirent à toutes jambes. Rien n’étoit plus amufant que de voir le mouvement de leurs grandes oreilles qui battoient l’air en proportion de la vîteffe qu’ils met- toient dans leur courfe : ce n’étoit là que le prélude d’une fcène plus animée. Je prenois plaifir à les examiner , lorfqu’il en paffa un a coté de nous qui reçut un coup de fufil d’un de mes gens. Aux excré- mens teints de fang qu’il répandit, je jugeai qu’il étoit dangereu- fement bleffé ; nous commençâmes à le pourfuivre. Il fe couchoit, fe redreffoit, retomboit ; mais, toujours à fes trouffes , nous le failîons relever à coups de fufil. L’animal nous avoit conduits dans de hautes brouffailles parfemées çà & là de troncs d arbres morts & renverfés. Au quatorzième coup, il revint furieux contre le Hottentot qui l’avoit tiré ; un autre l’ajufta d un quinzième qui ne fit qu’augmenter la rage de l’Eléphant ; & , gagnant au pied fur les côtés , il nous cria de prendre garde a nous. Je netois qua vingt-cinq pas ; je portois mon fufil qui pefoit trente livres outré mes munitions. Je ne poirvois etre auffi difpos que mes gens qui, ne s’étant pas laiffé emporter auffi loin, avoient d autant plus da- vance pour échapper à la trompe vengereffe , & fe tirer d’affairei Je fuyois ; mais l’Eléphant gagnoit a chaque inilant fur moi. Plus mort que v i f , abandonné de tous les miens ( un feul accouroit dans ce moment pour me défendre), il ne- me relie que le parti de me coucher, & de me blottir contre un gros tronc d’arbre ren- verfé ; j’y étois à peine que 1 animal arrive , franchit lobilacle ; & , tout effrayé lui-même du bruit de mes gens quil entendoit devant lu i, il s’arrête pour écouter. De la place ou je m etois caché, j’aurois bien pu le tirer ; mon fufil heureufement fe trouvoit charge; mais la bête avoit reçu inutilement tant d atteintes y elle fe pré- fentoit à moi fi défavorablement que , défêfpérant de 1 abattre d un feul coup, je reliai immobile, en attendant mon fort. Je 1 obfervois eependant, réfolu de lui vendre chèrement ma v ie , fi je le voyois revenir à moi. Mes gens, inquiets de leur maître, m appeloient de tous côtés. Je me gardois bien de répondre» Convaincus, par mon filence, qu’ils avoient perdu leur ch e f» ils redoublent leurs cris, & reviennent en défefpérés. L’Eléphant effrayé rebrouffe a u flitô t, & faute une fécondé fois le tronc d’arbre , à fix pas au-deffous de moi, fans m’avoir aperçu; c’efl alors que me remettant en pied| à mon tour échauffé d’impatience , & voulant donner a mes Hottentots quelque ligne de vie , je lui envoie mon coup de fufil dans la culotte. Il difparut entièrement à mes regards, laiffant partout, fur fon paffage, des traces certaines du cruel état où nous l’avions mis. Ce tableau n’eit point achevé. La reconnoiffance & 1 amitié réclament un dernier trait. Coeur fenfible , brave homme ! l’heure eft venue de t’élever ce fitnple monument que je t’avois promis ; tu ne comprendras jamais à quel point il meft cher ! Puiffe-t-il répandre quelqu’honneur fur mes V o y a g e s & meme en décorer l’hiftoire. Elle ne parviendra pas jufqu’à toi dans le fond de ton défert paifibie ; mais tu fentis mes larmes ; mais tes bras fraternels ont preffé mon coeur; foit que tu meures , foit que tu vives , je le fens mon fouvenir durera plus long-temps & plus glorieufement chez tes Hordes fauvages, que par les vains trophées de la vanité des hommes; j’en fuis peu digne; je les abjure.; mais toi , généreux Klaas , jeune Elève de la Nature , belle ame que n’ont point défigurée nos brillantes inflitutions, garde toujours la mémoire de ton ami : c’eft à toi feul qu’il adreffe encore fes pleurs & fes tendres regrets! C’étoit alors que, couché le long d’un miférable tronc d arbre, à la merci d’un animal furieux dont l’oeil égaré me ch.erchoit de -toutes parts , qui, s’il fe fût tourné vers moi m’anéantiffoit fur la place, c’étoit alors que mon coeur , tout palpitant d effroi , s’ouvroit aux charmes d’un fentiment délicieux que m infpiroit un de ces Humains dont les Nations policées ne parlent qu avec horreur ou mépris; que, fans les connoître , elles regardent comme des êtres atroces , le rebut de la Nature ; en un mot, un Sauvage de l’Afrique , un Caffre, un Hottentot. En partant du Cap , je l’avois reçu de M. Boers comme un homme fur la bravoure & la.fidélité duquel je dévots compter. 11 lui avoit recommandé de ne me. quitter ni à la mort ni à la O i j


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