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Dans la même matinée, comme j’étois tranquillement ailîs fur une chaife , a 1 ouverture de ma tente , ayant devant moi une table fur laquelle je difféquois le Balbuzard que j’avois tué la veille, tout a coup une Gazelle de l’efpèce appelée Bos-Bock, traverfe mon camp, paffe comme un éclair entre mes voitures, fans que mes chiens qui l’avoient entendue les premiers & qui fe préfentent au-devant d’elle puiffent lui faire rebrouffer chemin ; elle va donner dans un filet étendu pour sécher à la lifière de mon camp , le déchiré, en emporte quelques lambeaux , & , fuivie de toute ma meute, fe jette à corps perdu dans la rivière. Au même inftant, je vois arriver neuf Chiens fauvages qui lui avoient probablement donné la chaffe, & la fuivoient à la pifte. A la vue de mon camp ces animaux s’arrêtèrent tout court, & faifant un crochet ils gagnèrent une petite colline contre laquelle j’étois adoffé. Ils pouvoient de là, mieux encore que moi, obferver le fpeélacle de leur proie, ■ arrêtée par mes Chiens & mes Hottentots qui faifoient tout ce qu ils pouvoient pour la tirer de leurs dents & me l’amener vivante. Ils y réuffirent effedivement après lui avoir mis des jarretières. Rien n étoit plus plaifant que l’air capot de ces Chiens fauvages, qui , toujours fpedateurs de cette fcène appétiffante, n’avoient point quitté la colline , & dolemment aflis fur le cul, montroient affez par des mouvemens d’impatienéfe toute notre injuftice & tous leurs droits fur le repas dont nous les privions. J’aurois bien voulu en attraper un ; quelques - uns de mes gens fe gliffèrent de côtés & d’autres pour les joindre ; mais , plus fins que nous , ils fe doutèrent de leurs manoeuvres & gagnèrent au large. Une balle que je leur envoyai pour les remercier du fervice qu’ils venoient de me rendre, fut une balle perdue. Je voulois garder & apprivoifer cette Gazelle ; mais elle étoit fi farouche; la vue feule de mes Chiens lui infpiroit tant de crainte; elle fe débattoit avec tant de mouvemens &. des foubrefauts fi violens qu’elle fe feroit infailliblement détruite. Nous lui épargnâmes cette peine : elle fut mangée.; ) . Cette aventure fervit de matière, pendant plus de huit jours,’ aux bons mots de mes beaux-eiprits. Us plaifantoient les pauvres chiens fauvages d’avoir fait lever le Lièvre pOur fe le voir fouffler fous la mouftache. Il faut pourtant convenir que, fi mes chiens n’avoient point été foutenus par mes gens , -la Gazelle , à coup sûr , n’eût pas été pour eux , quoiqu’il fe trouvaffent en nombre plus grand que les neufs fauvages; ceux-ci font forts, farouches, intrépides; j’aurai ©ccafion d’en parler dans la fuite , & de relever, à leur égard, des erreurs bien grolîières confacrées par les plus grands talens. Mais comment parler fainement des objets qu’on n’a pas vus par foi- même , & qu’on eft réduit- à copier d’après ceux qui n’en fâvoient pas davantage? Jufqu’au 25 Juin , je fis plufieurs campemens aux environs de la Baie , dans différons endroits. Réfolu de continuer mes incurfions entre la chaîne de montagnes & la mer, j’allai reconnoître les lieux ; je cherchois & ne pouvois trouver , nulle part, un endroit par où mes chariots pufferrt paffer librement ; les forêts étoient d’une étendue & d’une épaiffeur qui ne permettoient pas de s’y enfoncer ; de leur côté mes Hottentots n’étoient pas plus heureux que moi dans leurs recherches. Nous ne trouvions absolument aucune iffue. Je me décidai donc à traverfer la chaîne des montagnes ; encore pour s’engager, falloit-il y trouver le commencement d’un paffage , & le moyen pour ces malheureux Boeufs d’y tenir pied. J’eus beau courir, arpenter, divaguer fans ceffe, toujours de quelque côté que je me retour- naffe , des rochers à pic frappoient mes regards. Nous nous étions , fans le favoir, engorgés dans une efpèce de cul-de-fac dont on ne pouvoit fe tirer qu’ en revenant fur fes pas. C’eft le parti que nous fûmes obligés de prendre , & nous nous retrouvâmes au bois du Poort, d’où j’étois parti un mois auparavant. Il faut fouvent peu de chofe pour rendre le calme à notre ame. Telle eft l’heureufe inftabilité de l’efprit humain ! Cette terre que je revoyois avec le plus amer regret, & qui me fembloit âpre & û trifte , prit tout à coup «ne face' nouvelle & riante. Je vis, fous mes pas, des traces d’une troupe d’Eléphans qui devoient avoir paffé le jour même 3 il n’en fallut pas davantage pour difiiper mes


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