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nouvelles efpèces qui n’étoient point rares dans les forêts du canton ; mais je voulus fur-tout m’en procurer un qui mît plus d’une fois ma patience à l’épreuve & faillît de me coûter cher. C’étoit un Balbuzard d’une très-belle efpèce. Cet oifeau, du genre des Aigles, eft de la taille à peu près de l’Orfraye ; tous les jours , je le voyois planer au-deffus de mon camp , mais à une diftance hors de la portée de la balle; je l’épiois & le faifois épier continuellement ; un homme toujours en védette ne le perdoit pas de vue ; un jour que j’avois traverfé le Queur-Boom, & que je me pro- menois le long de la rive oppofée à celle de mon camp , je vis autour d’un vieux tronc d’arbre mort une quantité de têtes, d’arrêtes de gros poiffon, des offemens & des débris de différentes petites Gazelles; là terre en étoit jonchée. Je penfai que ce pouvoit être là que mon couple de Balbuzards avoit établi fa pêcherie ou tout au moins fon repaire. Je ne tardai pas à le voir tournoyer dans l’air à une grande hauteur. Je me cachai vite dans un buiffon fort épais ; mais cette rufe n’étoit pas affez fine pour tromper l’oeil perçant de deux Aigles. Ils m’avoient fans doute aperçu ; ils ne defcendirent point. Le lendemain & plufieurs jours de fuite, je retournai à mon pofte ; j’allois à la petite pointe du jour me placer dans le buiffon & n’en fortois que le foir ; mais ce fut toujours inutilement. Ce manège étoit fort pénible , parce que, pour aller & revenir, obligé de paffer deux fois la rivière, il falloit attendre la marée baffe. Las à la fin de perdre tout mon temps & de ne pouvoir réuflîr, je pris deux Hottentots avec moi, & dans le milieu de la nuit tra- verfant la rivière , je les çonduifis à là portée du tronc d’arbre. Là je leur fis creufer un trou de trois pieds.de large fur quatre de profondeur; lorfqu’il fut fa it, j’y defcendis; on recouvrit le trou par-deffus ma tête avec quelques bâtons, un bout de natte & de la terre.; je me réfervai feulement affez d’ouverture pour paffer mon fufil & voir en même temps le tronc de l’arbre. J’ordonnai à mes gens de retourner au camp. Le jour parut ; mais les cruels oifeaux ne parurent point. La terre remuée fraîchement leur avoit fans doute infpiré de la méfiance ; je m’y étois prefqu’attendu. A la nuit clofe , je fortis de mon trou & m’en retournai paffer quelques heures à mon camp ; puis je revins me faire enterrer comme aupa- ravant. Je continuai ce manège deux jours de fuite avec beaucoup de confiance. Dans cet intervalle, le foleil avoit. defféché la terre & lui avoit rendu fa couleur uniforme. Sur le midi du troifième jour, je vis la femelle planer au-deffus de l’arbre; elle s y abattit, tenant dans fes ferres un très-gros poiffon. Soudain un coup de fufil la fit tomber en fe débattant ; mais avant que je me fuffe débarraffé de ma natte & de la terre qui me couvroit, elle reprit fon vol & rafant la futface de la rivière , elle gagna l’autre bord ou je la vis expirer. La joie que je reffentis de me voir enfin poffeffeur de cet oifeau fut fi vive que je ne fis point attention que la marée étoit haute; le fufil fur l’épaule, je cours me jeter à l’eau. Je n’ouvris les yeux fur mon étourderie que I p r f q u au milieu de la rivière je me fentis gagné jufqu’au menton; j’étois fçul; je ne fais point nager. En retournant ,, la rapidité du courant m’eût fait infailliblement culbuter. Sans trop favoir ce que j’allois devenir, je pourfuivis machinalement mon chemin , & j’eus le bonheur, le nez au vent, de gagner la rive oppofée. Un pouce de plus m’auroit infailliblement noyé. Je fautai fur mon Balbuzard , & le plaifir de tenir ma proie effaça bien vite la peur & le danger ; je fus contraint de me déshabiller pour étendre tout ce que j’avois fur le corps; pendant ce temps , je m’amufai à faire l’examen de ma prife ; après avoir fait sécher mes vêtemens, je rejoignis, fans péril, mes dieux pénates; à mon arrivée, on me dit que plufieurs de mçs gens étoient à la pourfuite d’un Buffle qui venoit de s’offrir à leur rencontre. Vers le foir , ils arrivèrent chargés des quartiers de 1 animal qu ils avoient dépouillé fur la place. Le lendemain de grand matin je ne négligeai pas d’envoyer chercher tous les rebuts qu’ils avoient abandonnés, afin d’attirer les oifeaux de proie. Ce moyen me procura mon Balbuzard mâle. Il ne différoit de fa femelle que par le caraclère général des oifeaux carnivores , d’être toujours un tiers moins gros. Je donne le deffin & la defcription de ceux-ci fous le nom de Vocifer.


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