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pitoyable monument auquel il ne manquoit qu’une infcription en vers pour le rendre encore plus digne de mépris. Cè nom a prévalu dans toutes les Colonies ; la baie L'Agoa n’eft plus connue que fous le nom de Blettenbergs-Bay. C’eft ainfi qu’un chétif piquet planté par la vanité d un Particulier donne tout à coup naiilance à des erreurs qui déconcertent les conventions jufques-là reçues , en meme temps qu elle renverfe les opinions généralement adoptées par les Peuples. Il y avoit, dans notre voilinagè une troupe de vingt-cinq a trente Bubales ; ils étoient dans un accul formé par la mer & nos deux rivières. Notre camp fe trouvoit placé de façon que nous occupions toute la largeur du feul débouché qui leur reftât pour échapper. Ces animaux étoient entièrement à notre difcrétion. Nous les regardions comme faifant partie de notre ménagerie , ou plutôt de notre baffe-cour. Auffi ne nous en faiiions-nous pas faute ; quand nos provifions tiroient à leur fin, j’en abattois une couple ; aucun ne nous échappa, & leurs peaux réunies firent une jolie tente a mon chariot de Pampoen-Kraal. Des troupeaux confidérables de Buffles venoient brouter fous nos yeux de l’autre côté du Queur-Boom. Nous leur donnions la chaffe, & nous en attrapions toujours quelques-uns. Cet animal eft extraordinairement farouche; c’eft avec bien de la précaution qu’il faut l’attaquer dans le bois ; mais , en rafe campagne , il n’eft point redoutable ; il craint & fuit la préfence de l’homme ; la façon la plus fûre de le prendre eft de le faire harceler par quelques bons Chiens; tandis qu’il s’occupe à fe défendre, un coup de fufil dans la cervelle ou l’omoplate l’étend roide fur la place. Les balles dont il faut fe fervir font de gros calibre, plomb & étaim. Si le coup ne frappoit pas les deux parties que j’indique, l’animal échapperoit à la mort. Ses cornes font très-grandes & divergentes ; on diroit, par le rapprochement qui les unit fur le front , qu’elles fortent toutes deux de la même bafe. Elles y forment une efpèce de bourelet. Le Buffle eft incomparablement plus fort & plus grand que les Boeufs les plus beaux d’Europe. Je penfe, avec beaucoup d’Obfervateurs, qu’il ne feroit pas impofiible de le rendre docile, & de le foumettre au joug. Vainement vièndroit-on objeéler qu’on n’a pu jufqu’ici réuffir. De fauffes expériences ne fauroient prévaloir. Cette entre- prife demande à la vérité du temps /de l’adreffe & de l’intelligence, & ne doit pas être confiée à l’indolence d’un abfurde Colon accoutumé à voir fouvent dans une légère difficulté des obilacles infur- montables. C’eft une fpéculation digne des grandes vues d’une Compagnie qui cherche à étendre fans ceffe toutes les branches de l’induftrie & du commerce. Qu’on faffe chercher & jeter dans des parcs fuffifans les jeunes de ces animaux. Habituez-les infenfi- blement à venir recevoir de leurs gardiens quelques alimens de prédileûion. Bientôt ils carefferont la main qui les nourrira. Devenus grands, ils feront des petits. Inftruits par les mères & à leur imitation, ils fe rendront encore plus familiers. Pour quoi refu- fera-t-on de croire qu’à la troifième génération, les moeurs du Buffle ne fuffent point adoucies,, .quand nous voyons, tous les jours, l’Ours féroce dérobé dans les montagnes inhabitées de ht Savoie, parcourir nos rues I danfer , fauter , faluer , fè plier , en un mot, avec la plus lâche foumiffion à tous les caprices de l’avare exi- geance de leurs conduéleurs. En général l’animal à cornes & à pied fourchu porte un oeil hagard ; ce qui le fait paroître terrible ; mais ce n’eft pas , comme dans les bêtes carnaffières & fanguinaires, un ligne de fureur ; c’ eft au contraire un ligne de crainte & d’effroi. Il n’a ni l’aftuce réfléchie, ni l’atroce méchanceté du Lion, du Tigre & même de l’Eléphant. Il n’en a nul befoin. Les végétaux dont il fe nourrit ne portent point affez de chaleur dans fes entrailles ; il eft farouche ; mais il eft timide. Je ne vois rien dans ce contrafte apparent qui bleffe la Nature, & j’y découvre un des caraâères le plus frappans dé l’homme. Ce n’eft point ici le moment d’entrer dans le détail immenfe de ces nuances fi compliquées, jttfqü’alors fi peu fènties , qui diftinguent entr’eux les animaux fauvages. C’eft prefque toujours '.'leur propre falut , ou le foin de leur fubfiftance qui les portent à la férocité. Mais, comme nous, dominés par des pallions différemment combinées, ils y arrivent par des routes différentes ; je Tonte 1. N


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