avec des cris de joie. Après avoir ramaffé nos effets, & rétabli chaque chofe a fa place , nous attelatnes de nouveau cette fatale voiture qui regagna fans péril, dans une heure, ce qu’elle avoit perdu en dix minutes. Les autres un peu moins pefantes arrivèrent à bon port. Jen avois fait doubler les traits; quatre hommes efcortoient les roues , tous prêts à enrayer au moindre choc ; ce qui ne nous auroit pas fauvés de la chute, tant la route étoit efcarpée ; mais ce qui eut un peu diminué la rapidité, & nous eût donné le temps de la diriger de notre mieux pour éviter l’affreux précipice. La frayeur ell une loupe qui groffit les objets. Elle m’avoit annoncé quelque chofe de plus fmiftre. J’effayerois en vain de peindre ma contenance , & toutes les agitations de mon efprit dans ce moment terrible. Je fuivois involontairement tous les mouvemens du chariot , & femblois le redreffer par ceux de mon corps, & les geftes de mes bras. Chaque fecouffe retentiffoit jufqu’au fond de mon coeur. J’euffe é té , nouvel Hippolyte, entraîné dans les précipices , que la terreur n’eût pas plus profondément agité mes fens. Je trouvais que nous nous tirions d’affaire à bon marché. Il s’étoit effeüivement opéré un miracle en ma faveur| & je fentis que le Dieu au trident fatal ne me pourfuivoit pas. Non-feulement je ne vis au chariot aucune fraéture effentielle ; mais il n’y avoit, dans l’intérieur, un déplacement confidérable occafionné par lesfecouffes; mes Boeufs, entraînés par le recul d’une voiture de quatre à cinq mille pefant, & qui auroient dû être hachés en morceaux avant d’arriver au pied de la montagne, en furent quittes pour quelques plaies peu dangereufes qui ne les empêchèrent pas de continuer leur travail. Il faut convenir qu’au temps perdu près , le mal n’avoit pas été bien grand, quoique nous étudions eu lieu de frémir pour les fuites. A mefure que je m’éloignois des Colonies , & m’avançois dans les terres, tout prenoit, à mes regards, une teinte nouvelle. Les campagnes étoient plus magnifiques ; le fol me fembloit plus fécond & plus riche ; la Nature plus majeftueufe & plus fière : la hauteur des monts offroit, de toutes parts, des fîtes & des points de vue charmans que je n’avois jamais rencontrés. Ce contraffe, avec les terres arides & brûlées du Cap, me faifoit croire que j’en étois à plus de mille lieues. « Q u o i, me difois-je dans mon extafe , ces » fuperbes Contrées feront donc éternellement habitées par les » Tigres & par les Lions; quel eft le Spéculateur infenfé qui, » dans la vue uniquement fordide d’un commerce d’entrepôt & de » colportage, a pu donner la préférence à la baie orageufe de la » Table fur les Rades multipliées & les Ports naturels & fi rians » qui bordent les côtes orientales de l’Afrique » Í Tout en remontant pédeftrement ma montagne , je m’entretenois ainfi avec moi-même, & formois, pour la conquête de ce beau Pays, de vains fouhaits que n’exaucera jamais la Politique pareffeufe des peuples de l’Europe. Nous avancions, ayant toujours à l’Oueft la grande chaîne couverte de bois que nous avions aperçue de fort loin. Après quatre heures & demie de marche , je fis halte près d’un petit ruiffeau à environ trois lieues de la mer. Nous aperçûmes une quantité prodigieufe de poiffon qui remontoit avec la marée. Lorfque nous la vîmes dans fon inftant de ftagnation, je fis barrer le ruiffeau avec le large filet de M. Mulder; je m’en fervois pour la première fois : il étoit trop long ; on le mit en double. Je pafferois pour un Exagérateur , fi je difois tout ce qu’il y refta de poiffon , lorfque la marée fut écoulée. Le filet en fouffrit beaucoup. Mes gens en accommodèrent à toutes fauces. Je réfervai, pour moi , une centaine de têtes que je mis fans eau dans une marmite avec différentes épiceries ; je fcellai hermétiquement le couvercle avec de la terre glaife,& j’enterrai cette braifière fous des cendres chaudes. Il réfulta de cet arrangement une matelotte excellente, dont je ne pouvois me raffafier , & qui me dura plu- fieurs jours. On ne fauroit choifir un emplacement plus utile & plus agréable que celui fur lequel je me trouvois alors pour établir & voir prof- pérer une Colonie. La mer pâffe par une ouverture d’environ mille pas entre deux grands rochers , & pénètre dans les terres à plus de deux lieues & demie. Le baffin qu’elle y forme a plus d’une lieue de large; toute la côte, à droite & à gauche, eft bordée de
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