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j’avois mené avec moi en tua un autre. Je revins vite au camp annoncer cette bonne nouvelle qui promettoit à mes gens des vivres pour long-temps, en cas de détreffe. Comme nous avions tué ces deux animaux fur le bord de la rivière, au-defïus de l’endroit où je venois de m’établir, je les fis pouffer au courant qui les amena devant ma Tente , & là ils furent auflitôt dépecés. Je voulus qu’on les coupât par tranches fort minces pour être plus aifément faupoudrés de fe l, & expofés enfuite à l’air & au foleil. Les buiffons, les branches, les chariots, tout ce qui nous envi- ronnoit fut chargé des débris fanglans de nos Buffles ; mais, tout- à-coup, au milieu de notre opération & fans nous y être attendus, nous nous vîmes affaïllis par des volées de Milans, de Vautours, de toutes fortes d’oifeaux de proie qui vinrent impunément fe mêler parmi nous. Les Milans, fur-tout, étoient les plus effrontés. Ils arrachoient les morceaux & les difputoient avec acharnement à mes gens ; emportant chacun une pièce affez forte , ils s’en alloïent , à dix pas de nous , fur une branche la dévorer à nos yeux. Les coups de fufil ne les épouvantoient guères; ils reve- noient fans ceffe à la charge , de telle forte que, m’apercevant que je brûlois ma pouclre fort inutilement, nous primes le parti de les écarter, & de les chaffer avec de grandes gaules jufqu’à ce que notre viande fût féchée. Cette manoeuvre , qui impatienta mon monde fort long-temps , n’empêcha point que nous ne fuiîions encore bien maraudés ; mais , fans elle , il ne nous feroit abfolument rien refté de nos deux Buffles. J’en avois fait fumer les langues. Dans la fuite , je n’ai jamais oublié;, de prendre cette précaution , à l’égard de celles de tous les animaux que j’ai tués ; c’étoit une douceur , une petite reffource pour moi, dans la difette, ou même lorfqive , par fénfualité & pour réveiller mon appétit, j’en faifois ajouter un plat à mon mince ordinaire. Il n’y a que les langues d’Eléphant que je n’ai jamais voulu conferver ; leur goût, leur forme même m’a toujours caufé une répugnance dont je ne fuis pas le maître, & dont il me feroit difficile de donner la raifon. Nos provifions achevées & bien enibalées, nous abandonnâmes la rivière Noire ; & , après avoir travèrfé le Gou.com à deux lieues de là , nous gagnâmes deux- lieues encére plus loiri la Nyfenà. Celle-ci étoit confidérable , & la marée l’enfloif encore. Je n’avoîs jufques-là trouvé nulle part un endroit plus agréable pour affeoir un camp. C’étoit une prairie très-riante d’environ mille pas eh quarré; une forêt de grands arbres formoit au Sud un magnifique rideau qui s’étendoit en retour jufqu’à l’Oueft. J’avois au Nord devant moi la rivière qui paroiffoit fort poiffonheufe ; une grande variété de menu gibier fé promenoit fur les bords. Tant d'avantages m’auroient fait prefqu’oublier Pampoen-Kraal. Cependant, je ne fus pas tenté de m’arrêter. Une inquiétude fecrette m’agitoit ; je voyois à l’autre bord de la rivière une montagne difficile qu’il nous falloit néceffairement franchir. Elle étoit efcarpée de façon à me faire craindre qu’il ne m’arrivât quelqu’accident ; un preffenti- ment intérieur fembioit me l ’annoncer. Je faillis en effet à perdre dans un moment tout le fruit de mes peines & de mes incroyables fatigues. J’avois eu la fage précaution de ne conduire mes chariots que l’un après l’autre ; & , quand j’aurois voulu les faire monter enfemble , je n’aurois point eu de Boeufs affez pour cette opération. J’en fis atteler vingt au chariot-maître , celui qui portoif, comme on l’a vu plus haut, toute mon artillerie & mes feules richeffes. Mes Boeufs le traînent; ils montent, grimpent avec effort; ils touchoient prefqu’au fommet. . . . ; la chaîne qui retenoit les dix-huit premiers fe rompt d’un feul coup , & la voiture roule avec précipitation jufqu’au pied de la montagne entraînant avec elle les deux Boeufs attachés au timon. De la hauteur où nous étions, mes Conduâeurs & moi nous la fuiviorts des yeux anéantis de peur, & dans les plus horribles palpitations ; vingt fois nous la vîmes prête à culbuter dans le précipice qui bordoit le chemin. Ce malheur feroit infailliblement arrivé fans la force plus que naturelle des énormes Boeufs du timon que rien ne put abattre. Cette infortune eût fini tout d’un coup mon Voyage. La voiture & mes effets les plus précieux euffent été mis en pièces ; ma poudre, mon plomb , mes armes difperfés ; j’étois perdu fans reffource. Elle s’arrêta contre un rocher fur les bords du torrent. Nous defcendîmes' Mij


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