Quoi qu’il dût tn’en coûter d’abandonner cette aimable folitude,' il fallut cependant s’y réfoudre. Je me mis, un jour, à parcourir tous les environs , afin de reconnoître quelle route je pourrois tenir, qui fût du moins praticable & fûre. Je trouvai, à une lieue de diftance de mon camp, un torrent très-rapide qu’on a nommé le trou du Kayman, je ne fçais pourquoi ; car , dans tout ce pays, je n’ai jamais aperçu ni Kayman ni Crocodille; ce torrent filoit entre deux montagnes peu hautes mais exceflivement efcarpées; A ma d r o ite j’avois la mer à mille pas environ; fur la gauche des montagnes & des bois impraticables pour mes voitures & mes bef- tiaux; il ne me reftoit donc d’autres reffources pour palier que le trou dangereux de Kayman. J’en étois fort inquiet, chagrin même ; qu’on fe peigne ma pofition ; à chaque pas, être ainfi arrêté & voir naître fans celle un obftacle d’un obftacle vaincu ! & pourtant je fentois le befoin de pénétrer plus avant ! Le torrent me parut trop enflé , trop rapide , pour entreprendre de le traverfer ; je craignois fur tout pour mes Boeufs ; les radeaux ne m’offroient tout au plus qu’un moyen de voiturer mes effets; je fus donc forcé de prendre patience & d’attendre. ■ Le dix-huit ■ A v r il, je reçus un exprès de M. Mulder ; il éîoit de retour du Cap, & m’envoyoit des lettres qu’il avoit rapportées ; t ’étoient des réponfes à celles dont je l’avois chargé dans les premiers jours de Février. Mes amis s’inquiétoient beaucoup de mon fort & m’engagoient à revenir ; d’autres m’invitoient à la perfé- vérance , & , pailibles au fein de leurs foyers , s’embarraffoient peu des obftacles , pourvu que mon Voyage fervît aux progrès des çonnoiflances humaines, ou, fans aller li loin , leur fournît, dans des fables contées à leur manière , quelqu’aliment à leur curiolité. Je trouvai l’intérêt de chacun à fa place, & fuivis toujours mon plan. Il eft aifé de voir combien la mauvaife faifon avoit retardé ma marche , puifque j’avois fait à peine huit lieues que le Commandant , M. Mulde'r, avoit eu le temps d’aller au Cap & de revenir; il' m’écrivoit lui-même une lettre par laquelle il me propofoit un rendez - vous de pêche à la mer, fi cela ne me dérangeoit pas; il dçvoit apporter des filets & tout ce qui feroit néceffaire pour paffer enfemble une huitaine de jours fur le rivage ; il m’annonçoit que fa femme embelliroit cette petite fête. Cette nouvelle me fit plailir; je les vis en effet l’un & l’autre fuivre de près le Mefla- ger. Mi Mulder avoit encore amené avec lui le fécond Commandant, ©n eut dit un Voyage de Patriarches. Celui-ci portoit fur fes piftolets , à l’arçon de la felle , un petit enfant de quatre mois allaité par fa femme. Us étoient tous quatre à cheval. Son chariot , avec fes filets & fes équipages, étoit allé nous attendre au bord de la mer ; j’en fis atteler un des miens. On y chargea ma tente, une ou deux futailles vides & tout ce que je prévis qui nous feroit utile pour la Pêche miraculeufe. Rendus au rivage, après quelques complimens & les petites cérémonies d’ufage , nous jetâmes plufieurs fois les filets ; mais ce fut toujours inutilement ; nous ne prenions prefque rien ; ce métier n’amufoit perfonne. On réfolut d’aller plus loin fur un petit lac formé par la marée haute où l’on efpéroit plus de bonheur , & l’on fe mit en marche ; j’étois beaucoup moins curieux de ppiffons que d oifeaux , & me ferois bientôt laffé de la pêche, fi les bonnes façons de mes amis, & la gaîté franche & naïve des femmes ne m’avoient un peu retenu; cependant je rodois à pied de côtés & d’autres , fouillant de tous mes yeux & l’air, & les chemins, & les arbres. Nous arrivâmes fur les bords du lac ; je cherchois un endroit commode pour y placer nos tentes : une alerte à laquelle nous n’avions garde de nous attendre eut bientôt dérangé tout ce ménage grotefque. En tra- verfant une partie de rofeaux fort élevés & fort épais, les travailleurs tombèrent tout d’un coup fur un Buffle qui s étoit couché là. Us en étoient fi près que l’animal , autant effraye qu eux de cette apparition fubite, renverfa, en fe retirant, le cheval du fécond Commandant & celui d^ fa femme. L’alarme devint générale; chacun gagnoit au large & fuyoit à toutes jambes. Les gens de M. Mulder , peu familiarifés avec les Buffles, fe trouvant plus près de l’eau , s’y plongèrent jufqu’au cou. Les miens, mieux aguerris , faifoient bonne contenance; mais l’animal, à Tafped de tant de monde , effarouché de toutes parts , ne fçavoit lui-même comment fuir, & reftoit immobile, retranché contre une roche énorme.
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