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pour aller prendre poffeffion de ma forêt & m’établir dans l’empla- eement que je m’étois choifi. J’avois d’avance envoyé de mes gens pour préparer les lieux, abattre quelques arbres & nettoyer la place des brouffailles qui la couvroient, afin d’être en état, à mon arrivée, de dreffer fur le champ mes Tentes ; ce que j’exécutai dans un moment. Ma cuiline fut établie fous un gros arbre qui fembloit avoir vieilli là tout exprès , & mes Hottentots de leur côté s’arrangèrent de leur mieux & fe bâtirent des cabanes. Nous avions , à dix pas de nous , un petit ruiifeau très-limpide , & vis-à-vis , un charmant coteau couvert d’excellentes herbes pour nos Chevaux & pour nos Boeufs ; par ce moyen , nous les tenions à notre portée. Tant de facilités réunies rendoient cette Halte agréable ; malheureufement nous fûmes obligés de nous tranfplanter plufieurs fois , attendu que le gibier de toute efpèce effarouché par nos chaifes commençoit à devenir rare & fe feroit retiré tout-à-fait. J’étois quelquefois vifité par les habitans du diftriâ ; ce qui me donnoit la facilité de faire provifion chez eux de fruits, de légumes , de la it, & de toutes les chofes qu’ils pouvoient me fournir. A la vérité leurs vifites me coûtèrent quelques chopines d’eau de vie ; mais , comme je dételle cette liqueur malfaifante & que je n’en buvois jamais , cette réferve les retint un peu , & les plaies qu’ils firent à mes tonneaux ne furent pas bien meurtrières. Je m’étois inftruit par moi-même, que le bois contre lequel j’avois appuyé mon camp, me fourniroit des Touracos. Je ne connoiffois point cet oifeau & ne l’avois jamais v u ; je me mis en quête; j’en découvris quelques-uns. Je marchai long-temps à leur pour- fuite , mais vainement ; cet oifeau, qui fe perche toujours à l’extrémité des plus hautes branches, ne fe trouvoit jamais à la portée de mon fufil ; un après-dîner cependant j’en pourfuivis un avec plus d’acharnement. Sautillant de branche en branche & s’éloignant fort peu, il fe mocqua de moi pendant plus d’une heure , & me conduifit fort loin. Impatienté de fon manège , & ne pouvant réuffir à l’approcher, je lui lâchai mon coup hors de portée. J’eus la fatisfailion de le voir tomber. Ma joie fut inexprimable ; mais le plus fort n’étoit pas fait ; il me falloit m’emparer de ma proie ; j’avois bien remarqué l’endroit de fa chute ; je courus à travers les brouffailles & les épines pour le r'amaffer. Mes jambes & mes mains étoient déchirées & tout en fang. Arrive fur la place, je ne vis rien ; j’eus beau fureter tour a tour les environs , aller , revenir, battre vingt fois les mêmes endroits, examiner fcrup.uleu- fement les moindres trous , les plus petits enfoncemens , mes peines furent inutiles ; je ne trouvois point mon Touraco ; toutes mes recherches, toutes mes réflexions me conduifirent à penfer que je n’âvois fait peut-être que lui caffer une aile , ce qui ne l’avoit pas empêché de s’éloigner de l’endroit de fa chute. Je m éloignai donc auffi & me mis à roder de nouveau dans tous les environs pendant plus d’une demi-heure. Point de Touraco. J’étois au défef- poir ; & les brouffailles épaiffes & les buiffons d’épines qui m’enfan- glantoient jufqu’au vifage m’avoient réellement agité de tranfports difficiles à décrire. Pour affouvir ma colère , je fens qu’il ne m’eût fallu rien moins dans un pareil moment qu’un Lion ou quelque Tigre à pourfuivre. Un chétif oifeau qu’après tant de peines & de défirs je venois enfin d’abattre , échapper & difparoître ainfi à mes yeux! je frappois la terre de mes pieds & de mon fufil. Tout à coup la terre s’enfonce ; je difparois moi-même & tombe avec mes armes dans une foffe de douze pieds de profondeur. L’étort- nement & la douleur de la chute prirent la place de mes empor- temens. Je me vis au fond d’un de ces pièges recouverts que les Hottentots tendent aux bêtes féroces & particulièrement aux Elé- phans. Revenu à moi, je fongeai aux moyens de me tirer d’embarras , trop heureux de ne m’être point empalé fur le pieu très- aigu qu’ils plantent au fond du trou , plus heureux encore de n’y avoir point trouvé compagnie. Mais il pouvoit à tous momens en arriver , fur-tout fi j’étois contraint d’y paffer la nuit ; fon approche commençoit à m’infpirer beaucoup de terreur en contrariant & retardant la feule reffource que j’imaginois pour me fauver du puits fatal fans fecours étrangers : c’étoit d’ébouler la terre à l’un des côtés avec mon fabre & mes mains , & d’y faire des efpèces de degrés ; mais cette opération pouvoit traîner en longueur :


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