curieux qu’ils avoient eu l’honneur de recevoir, & notamment M. le Doûeur Sparmann , Académicien Suédois. Quelque refpe&able que me parût cette autorité, je penfai que je ne devois pas quitter mon camp. « J’avois déterminé que, dans le cours de mes Voyages, je ne logerois jamais dans aucune habitation, pour être plus libre le jour & la nuit, pour avoir fous ma main mes gens & mes équipages, pour ménager un'temps précieux qu’il faut toujours façrifier au bavardage & aux récits abfurdes de ces Colons qui vous fatiguent avec leurs contes & vous épuifent avec leurs quellions, mais fur- tout pour ménager mon eau de vie avec laquelle j’aurois été contraint d’arrofer continuellement leurs interminables converfations. Je remerciai donc ces Meilleurs, qui ne réuffirent pas même à m’é- branler , tant ma rëfolution avoit été ferme & irrévocable. L ’exemple du Dofteur Sparmann n’en étoit point un pour moi. Nos genres très-différens devoient nous donner d’autres idées. Il n’avoit befoin que du jour pour s’appliquer à fes recherches en botanique. Moi, je paffois fouvent une partie des nuits à la chaffe »file befoin l’exi- geoit ; j’aurois été forcé de m’en abftenir ou de déranger mes Hôtes. Cela feul m’auroit infpiré des dégoûts qui euifent mis bientôt fin au roman. 11 n’en falloit pas tant pour en détruire toute l’illufion. Un autre motif & qui m’eft purement perfonnel, peut donner en deux mots une idée de mon caraâère & du plan de vie qu’il m’a- voit fait embraffer. Si c’eil un trait d’amour-propre , & mon âge Sc l’éducation que j’ai reçue, & mon Pays, & les difficultés vaincues m’excuferont affez. Quoique je reconnoiffe l’utilité des chemins, faits chez les Peuples civilifés, l’habitude où nous étions de les ouvrir nous-mêmes dans ma, jeuneffe à Surinam , me les a toujours fait regarder comme un frein qui diminue le prix de la liberté. Fier de fon origine, l’homme s’indigne qu’on ait ofé d’avance compter fes pas. J’ai toujours foigneufement évité les routes battues, & ne me fuis cru complètement libre que lorfqu’au milieu des rochers , des forêts & des déferts d’Afrique, j’étois fûr de ne rencontrer, d’autres, traces d’ouvrages humains que celles que j’y avois laiffées moi-même. Aux lignes de ma volonté qui commandoit alors fouverainement, à la plénitude de mon indépendance, je reconnoiffois véritablement dans l’Homme le Monarque des êtres vivans, le Def- pote abfolu de la Nature. On trouvera plus d’une fois alarmante une pofition que je trouvois délicieufe. Ces bizarreries découlent des premières impreffions de ma vie. Elles ne font que le fentiment pur & naturel de la liberté , qui repouffe fans diftinâion tout ce qui paroît vouloir lui prefcrire des bornes. Trop de raifons m’at- tachoient à mes principes , pour ne pas les obferver religieufement; & , fi j’en excepte une feule fois où par politique, il me fut im- poffible de refufer ouvertement i’hofpitalité , je ne me fuis jamais écarté de mon plan dans mes Voyages. Je diftribuois l’emploi du temps & voici l’ordre ordinaire de mes occupations. La nuit, lorfque nous ne marchions pas , je cou- chois dans ma tente ou fur mon chariot; au point du jour, éveillé par mon Coq, je me mettois tout de fuite en devoir d’apprêter moi-même tnon café au lait tandis que mes gens , de leur côté , s’occupoient à nettoyer & à panfer toutes mes bêtes. Au premier rayon du foleil, je prenois mon fùfil ; nous partions mon Singe & moi; nous furetions à la ronde jufqu’à dix heures. De retour à ma tente, je la trouvois toujours propre & bien balayée. Elle étoit particulièrement à la garde d’un vieux Africain nommé SwanepoeL ; n’étant plus capable de nous fuivre dans nos courfes à pied, c’eft lui qui reftoit pour garder le camp ; il y entretenoit le bon ordre. Les meubles de ma tente n’étoient pas nombreux ; une chaife ou deux , une table qui fervoit uniquement à la diffeâion de mes animaux, & quelques uftenfiles néceffaires à leur préparation en faifoient tout l’ornement. Je m’y mettois donc à l’ouvrage depuis dix heures jufqu’à midi. C’eft alors que je claffois dans mes tiroirs les infedtes que j’avois rapportés ; la cérémonie de mon dîner étoit tout aufîi fimple. Je plaçois fur mes genoux un bout de planche couvert d’une ferviette. On m’y fervoit un feul plat de viande rôtie ou grillée. Après ce dîner frugal & qui ne duroit pas long-temps, je retournois au travail, fi j’avois à finir quelque ouvrage que j’euffe commencé , puis à la chaffe jufqu’au foleil couchant. De retour au gîte, j’allumois une chandelle & paffois-quelques heures à configner
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