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Je reliai plulieurs jours à Swellendam , chez M. Ryneveld , Bailli du lieu ; il me combla d honnetetes. Je trouvois mes deux voitures bien pefantes & trop chargées. Je fentois le belbin de m’en pro- curer une troilieme. Mon Hote eut la complaifance de me faire conltruire une charette à deux roues, & à mon départ il me donna avec profuiion des vivres frais pour ma route. Je recrutai quelques Hottentots de plus ; j’achetai plufieurs Boeufs, des Chèvres , une Vache pour me procurer du lait, & un Coq dont je comptois me faire un réveil-matin naturel. Il nexiile pas un feul Naturalille , pas même un lourd Habitant des campagnes qui ne fâche que le Coq eft un oifeau qui chante régulièrement pendant la nuit à la meme heure, & qu'il prend foin de rapeler le jour. Je ne fais quel ridicule on a prétendu jeter fur cette précaution qui devoit me procurer de l’agrément , fi elle n’étoit pas une reffource au befoin , en me faifant tenir dans plus d’un papier public des difcours abfurdes qui cadrent affez mal avec l’emphafe du Narrateur. En affurant au Public , en mon nom, que j’avois compté remplacer ma montre par mon C o q , fi elle venoit à fe déranger, il auroit été décent d apprendre au moins aux incrédules comment un Coq peut jamais devenir une horloge; c’eft dans le même efprit qu’ailleurs on. fuppofe que, rencontrant pour la première fois un Lion « nous nous mefurâmes de notre fuperbe regard & nous laiffâmes tran- ** quillement paffer , jdtisfaits l un l’autie de notre jiere contenance ». Quoi quil en foit de ces poétiques Romans, mes efpérances fur mon Coq ne m’ont point trompé. Cet animal , qui couchoit fans celle ou fur ma tente ou fur mon chariot -, m’annonçoit régulièrement le lever de l’aurore ; il s’apprivoifa bientôt ; il ne quittoit jamais les environs de mon camp ; fi le befoin de nourriture le faifoit s’écarter un peu , l’approche de la nuit le ramenoit toujours ; quelquefois il étoit pourfuivi par de petits Quadrupèdes du genre des Fouines ou Belettes ; je le voyois moitié courant, moitié volant , battre en retraite de notre côté, & crier de toute fa force ; alors, l’un de mes gens ou mes chiens même ne manquoiçnt pas d’aller bien vite à fon fecoivrs. Un animal qui m’a rendu des fervices plus effentiels, dont la préfence utile a fufpendu, dilfipé même dans mon coeur des fou- venirs amers & cruels, dont l’inftinét touchant & fimple fembloit prévenir mes efforts , & vraiment confoloit mes ennuis , c’eft un Singe de l’efpèce fi commune au Cap fous le nom de Bawian ; il étoit très - familier & s’attacha particulièrement à moi : j’en fis mon Déguftateur. Lorfque nous trouvions quelques fruits ou racines inconnus à mes Hottentots , nous n’y touchions jamais que mon cher Keès n’en eût goûté; s’il les rejetoit, nous les jugions ou défagréables, ou dangereufes , & les abandonnions. Le Singe a cela de particulier qui le diftingue des autres animaux & le rapproche de l’homme : il reçut de la Nature , en égale portion , la gourmandife & la curiofité ; fans appétit, il goûte tout ce qu’on lui préfente ; fans néceffité, il touche tout ce qu’il trouve à fa portée. Je chériffois dans Keès une qualité plus précieufe encore. Il étoit mon meilleur furveillant ; foit de jour, foit de nuit, le moindre figne de danger le réveilloit à l’inftant. Par fes cris & les geftes de fa frayeur, nous étions toujours avertis de l’approche de l’en- jiemi avant que mes chiens s’en doutaffent ; ils s’étoient tellement habitués à fa v o ix , qu’ils dormoient pleins de confiance , & ne fa.foient plus la ronde ; j’en étois outré de colère, dans la crainte de ne plus retrouver en eux les fecours indifpenfables fur lefquels j avois droit de eompter , fi quelqu’événement fünefte, ou la maladie venoit à m’enlever mon trop fidèle Gardien. Mais, lorfqu’il leur avoit donné l’alerte, ils s’arrêtoient pour épier le fignal. Au mouvement de fes y eux, au moindre branlement de fa tête, je les voyois s élancer tous enfemble , & détaler toujours du côté vers lequel il portoit la vue. Souvent je le menois à la chaffe avec moi. Que de folies & que de joie au fignal du départ ! comme il venoit baifer tendrement fon ami! comme le pîaifir brilloit dans fa prunelle ardente & mobile! comme il devançoit mes pas plein d’aife & d’impatience, & revenoit encore par fes careffes, me prouver fa reconnoiflance & m’inviter a ne pas différer plus long temps ! Nous partions ; chemin faifant,


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