hommes. Celui de ces derniers alloit quelquefois jufqu’à quarante. Il augmentoit ou diminuoit fuivant la chaleur de ma cuifine ; car, au fein des déferts d’Afrique comme en nos Pays favans, on rencontre des tourbes d’agréables parafites, peu honteux de leur contenance ; ceux-là pourtant, fans être trop à charge, ne m’étoient point tout-à-fait inutiles, & ne favoient pas comment on fait la pirouette quand la nappe eft enlevée. Le projet de mon Voyage étoit connu de toute la Ville du Cap. Aux approches de mon départ, je fus vivement follicité par plu- fieurs perfonnes qui défiroient m’accompagner. C’étoit à qui vien- droit m’offrir fes fervices. Nous raifonnions bien différemment, ces melEeurs & moi. Ils s’imaginoient que leurs propofitions alloient me caufer beaucoup de joie ; ils ne pouvoient croire que je puffe me réfoudre à partir feul. Cette idéedeur fembloit une folie, tandis que je n’y voyois au contraire que de la prudence & de la fageffe. Tétois inftruit que de toutes les expéditions ordonnées par le Gouvernement pour la découverte de l’intérieur dè l’Afrique, aucune n’avoit réuflî ; que la diverfité des humeurs & des cara&ères ne pouvoit concourir au même but ; qu’en un mot, cet accord , fi néceffaire dans une expédition hardie & neuve, n’étoit point praticable parmi des hommes dont l’amour - propre devoit fe promettre une part égale aux fuccès. Je n’avois garde, après cela, de m’expofer à perdre les frais de mon Voyage, & le fruit que je comptois en retirer. Je voulois être feu l, & mon maître abfolu. Ainfi je tins ferme. Je rejetai toutes ces offres ; & , d’un mot, je coupai court à toute efpèce de propofitions. Lorfque mes équipages furent en ordre , je pris congé de mes amis , & , le 18 Décembre 1781, à neuf heures du matin, je partis, efcortant moi-niême à cheval mon convoi. Je n’avois pas compté faire une longue marche. Suivant le plan que je m’étcis dreffé, je dirigeai mes pas vers la Hollande Hottentote & m’arrêtai, vers le déclin du jour , au pied des hantes montagnes qui la bornent à J’Eft du Cap. Ce fut alors qu’entièrement livré à moi-même, & n’attendant de fecours & d’appui que de mon bras, je rentrai pour ainfi dire dans l’état primitif, de l’Homme, & refpirai , pour la première fois de ma vie , l’air délicieux & pdf de la liberté. Il falloit mettre quelqu’ordre dans mes opérations & parmi mon monde ; tout dépendoit des commencemens. Sans être un grand Philofophe, je connoiffois affez les hommes pour favoir que qui veut être obéi doit leur en impofer, & qu’à moins d’être ferme ' & vigilant fur leurs aftions, on ne peut fe flatter de les conduire. Je devois craindre, à tous momens, de me voir abandonné des miens , ou que ma foibleffe ne les engageât au défordre. Je pris donc avec eux, fans affe&ation, un parti prudent, auquel j ai toujours tenu dans la fuite, fans qu’aucune circonftance m ait fait relâcher , un feul jour , de mon utile févétité. Nous étions à peine arrêtés que je donnai 1 ordre de dételer en ma préfence. Sous la conduite de deux de mes gens en qui j’avois reconnu plus d’exaclitude & d’intelligence , j envoyai pâturer me^ Boeufs. Je fis avec les autres la revue de mes voitures , de mes effets , afin de m’affurer s’il n’y avoit rien de dérangé ; j’examinai même jufqu’aux trains & harnois; je diftribuai a chacun fon emploi & leur fis à tous un petit difeours relatif aux différentes occupations qu’ils auroient dans la fuite. C’eft ainfi qu’ils prirent de moi fur le champ l’idée d’un homme foigneux & clairvoyant, & qu’ils fentirent que le moindre relâchement dans leur fervice ne pourroit m’échapper. Après cette cérémonie, je montai a cheval, & j’allai reconnoître le chemin fur la montagne que nous devions traverfer le lendemain, A mon retour, je trouvai mes Boeufs en état , & un grand feu que j’avois donné ordre d’allumer. Nous foupâmes légèrement des provifions que nous avions apportées de la Ville. Enfin nous nous couchâmes, moi fur mon chariot, mes Hottentots à la belle étoile. Le lendemain, nous attelâmes avant le jour, & nous mîmes en devoir d’entreprendre la montagne. Ce ne fut pas fans rifque de brifer nos voitures & d’eftropier nos Boeufs que nous gagnâmes fon fommet. Le chemin en elt taillé dans le reVers même. Il eft fi efearpé , fi hériffé des éclats du rocher,que je m’étonne comment on néglige auifi abfolument la feule route par laquelle les Habitans
27f 81
To see the actual publication please follow the link above