Page 30

27f 81

» comme je l'ai fait, & tâche de découvrir dans quel état nous » l’avons mis. Je vais garder l’entrée ; pour cette fois, s’il veut » échapper, je l'affomme. Nous pouvons l’achever fans le 'fecours » de ces lâches ». Il ne fut pas plutôt entré qu’il me cria qu’il apercevoit le Tigre étendu de fon long fans aucun mouvement apparent, & qu’il le jugeoit mort. Pour s’en affurer, il lui tira un dernier coup de fa carabine ; j ’accourus ; tout mon corps frémiffoit d’aife & d’exultation ; mon brave Hottentot partageoit mes vifs tranfports. La joie doubloit nos forces. Nous traînâmes l’animal en plein air ; il me fembloit énorme. Je commençai d’abord par prendre en détail toutes fes dimenfions. Je l’examinois & le retournois dans tous les fens- Je l’admirois avec orgueil. C’étoit là mon coup d’effai ; & le Tigre , par hafard, fe trouva monftrueux. Il étoit mâle: depuis l’extrémité de la queue jufqu’à la mouftache, il portoit fept pieds deux pouces fur une circonférence de deux pieds dix pouces. Je lui reconnus tous les caraftèrés de la Panthère bien décrits par Buffon. Mais, dans toute La Colonie , on ne le nomme pas autrement que le Tigre. Cet ufage a prévalu, quoique dans toute cette partie de l’Afrique on ne rencontre aucun Tigre, proprement dit, & qu’il y ait une grande différence entre l’un &l’autre de ces animaux ; les Hottentots l’appellent Garou , Gama, c’eft-à-dire Lion tacheté. En général dans les Colonies du Cap on redoute la Panthère beaucoup plus que le Lion. Celui-ci n’arrive jamais fans s’annoncer par des rugiffemens affreux. Il donne lui-même le fignal de la défenfe, comme s’il montroit plus de confiance dans fa force, ou qu’il mît plus de nobleffe dans l’attaque ! L’autre au contraire unit la perfidie à la férocité ; il arrive toujours fans bruit, fe gliffe avec adreffe , faifit l’avantage ; & , fautant fur fa proie, l’enlève avant qu’on fe foit douté de fon approche. Je n’ai pas manqué d’occafions par la fuite, de voir beaucoup de ces animaux, ainfi qu’une autre efpèce appelée par les Hollan- dois Luypar ( c ’eft le Léopard des François ) ; une autre petite efpèce encore qu’on nomme Chat-Tigre, & qui eft lOffelot de Buffon : j’en parlerai en diverfes rencontres. Lorfque Ê N A F R I Q U £• 3 J Lorfque j’eus fini toutes mes remarques fur ma Panthère , & que j’en eus pris le deflin , nous nous mîmes en devoit de la déshabiller. Les poltrons fe rapprochoient peu à peu , en nous voyant opérer fi tranquillement. On fe figure fans peine leur au honteux & décontenancé.) N’avoient-ils pas à rougir devant un Etranger qui, pour la première fois, aux prifes avec une bête féroce, avoit tenu ferme & montré plus d’intrépidité queux tous, quoiqu’ils fuffent nés & élevés, pour ainfi parler , au milieu des monfïres de l’Afrique? Après avoir dépouillé ma proie, mon Hottentot s’affubla de fa peau , je faluai mes fiers chaffeurs & nous retournâmes au gîte- Nous marchions en triomphe, efcortés par plufieurs chiens dont les maîtres s’étoient éclipfés les premiers. Ils ne nous approchoient que de forte. La peau du Tigre les tenoit en refpeft ; & , lorfque pour les effrayer d’avantage, mon Hottentot fe retournoit, faifant un mouvement vers eu x, c’étoit à qui détaleroit le plus vite « comme fi le Tigre vivant eût été à leurs trouffes ; ce qui nous divertiffoit beaucoup. .. . , , m Les détails de cette expédition ne tardèrent point à fe répandre. On difoit par-tout dans le Pays que j’étois un brave ; ceux mêmes qui m’avoient fi bien fécondé commençoient à le croire. Je reçus encore une fupplique de la part d un Colon que je ne connoiffois pas, 8c qui vivoit à quatre lieues de nous ; il me prioit d’aider fes fils à le débarraffer d’une autre Panthère qui ravageoit fon quartier. Ce que je venois d’éprouver dans une première tentative ne m’engageoit guères à en former une fécondé. Je men défendis, bien réfolu de ne pas m’expofer davantage au danger de devenir la viâime d’une aufii lâche défertion. « Allez, répondis-je à 1 En*. » vo yé ; dites à votre maître que je ne fuis pas venu dans ces a Contrées pour y détruire la race des Tigres ; je ferois trop; » mal payé de ce fervice ,puifqu’il n’auroit été utile qua des « poltrons ; fi le hafard m’expofe à de pareilles rencontres , je * faurai bien combattre feul. Je ne veux point de vos fecours, Tçmt J , ®


27f 81
To see the actual publication please follow the link above