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Je fautai de mon cheval, que je remis à mon Hottentot ; & , courant du côté du buiffon, je m’établis fur une petite monticule qui en étoit à cinquante pas ; mais , jetant les yeux derrière moi, je vis qu’il n’y avoit pas un feul de mes Compagnons qui fit bonne' contenance. Jean Slaber , un des fils de mon hôte, coloffe de fix pieds, vint fe ranger près de moi; il ne rouloit point, difoit-il, m’abandonner , même au péril de fa vie. Au battement de fon coeur , aux traits effarés de fon viiàge, je jugeai que le pauvre garçon comptoit peu fur lui-même; je fentois, pour en tirer parti, qu’il avoit befoin d’un homme ferme qui le raffurât. En effet, quelle que fût fa terreur, je penfe qu’il fe croyoit en plus grande fécurité près de moi qu’au milieu de fes poltrons de camarades que nous voyons divaguer dans la plaine , & fe tenir à une dif- tance refpeâueufe. Ils m’avoient tous averti que , dans le cas ou je joindrois l’animal d’affez près pour en être entendu, je ne devois point crier Saa, Saa ; que ce mot mettoit le Tigre en fureur, & qu’il s’élançoit de préférence fur celui qui l’avoit prononcé. Mais , en rafe campagne , bien à découvert, & ne pouvant être furpris par l’animal, je me mis à crier plus de mille fois Saa , Saa, Saa , autant pour exciter les chiens que pour l’arracher de fon fort. Ce fut en vain ; l’animal & la meute également effrayés l’un de l’autre n’ofoient ni pénétrer ni fortir ; parmi les chiens cependant, je remarquai des matins pour qui j’aurois parié , fi Jeur courage eût fécondé leurs forces. Ma feule chienne , la plus petite de la troupe , fe mon* troit toujours à la tête des autres. Elle feule s’avançoit un peu dans le buiffon; il eft vrai que, reconnoiffant ma voix , elle en. étoit animée & plus acharnée que les autres. L’affreux Tigre pouffoit des hurlemens terribles. A chaque inf- taut, je le croyois lancé. Les chiens, au moindre mouvement qu’il faifoit fans doute, fe jetoient avec précipitation en arrière, & détaloient à toutes jambes. Quelques coups de fufil, tirés au hafard, le déterminèrent enfin. 11 fortit brufquement. Cette apparition fubite fu t , pour tout le monde , un lignai de décamper. Jean ôlaber lui-même qui, taillé comme un Hercule, 'auroit pu lutter avec l’animal & l’étouffer dans fes bras, perd tout à coup la tête ; il cède à fa frayeur, s’enfuit vers les autres, & m’abandonne. Je reliai feul avec moh Hottentot. Le Tigre, pour gagner un autre buiffon , pafle à cinquante pas de nous , ayant tous les chiens à fes tronffes. Nous le faluons de nos trois coups à fon paflage. Le buiffon dans lequel il fe réfugioit étoit moins haut , moins grand & moins touffu que celui qu’il venoit de quitter ; des traces de fang me firent préfumer que je l’avois touché, & l'acharnement rédoublé des chiens m’en donna la preuve. Une partie de mon monde alors fe rapprocha , mais le plus grand nombre avoit tout à fait difparu. L’animal fut encore harcelé pendant plus d’une heure , nous tirâmes au hafard dans le buiffon plus de quarante coups de fufil; enfin laffé,.impatienté même de ce manège.qui ne finiffoit rien, je remontai à cheval & tournai, avec précaution, du côté oppofé aux chiens. Je préfumois qu’occupé à fe défendre contr’eux, il me feroit aifé de le furprendre par derrière. Je ne m’étois pas trompé je l’aperçus. 11 étoit acculé , jouant des pattes pour tenir en ref- peft ma petite chienne qui venoit aboyer jufqu’à la portée de fa griffe. Quand j’eus pris tout le temps néceffaire pour le bien ajuftsr, je lui lâchai ma carabine que je laiffai tomber pour me faifir promptement de mon fufil à deux coups que je portois à l’arçon de ma felle. Cette précaution fût inutile. L’animal ne parut point ; & , mon coup parti, je ne le vis même plus. Quoique fûr de l’avoir atteint , il y auroit eu de l’imprudence à pénétrer tout de fuite dans ce fourré. Cependant on ne l’entendoit point ; je le foup- çonnois ou mort ou dangereufement bleflé. « Amis, criai-je alors »► à ceux de nos chaffeurs qui s’étoient rapprochés , allons , tous » de front & fur une ligne ferrée, droit à lui ; il faut bien, s’il » vit encore, que tous nos coups lâchés enfemblè ,1e démontent,' » s’il fe préfente ; quel rifque pouvons nous courir » ï 11 n’y eut qu’une voix pour me répondre ; mais elle fut négative. Ma pro- pofition ne fut goûtée de perfonne. Indigné , furieux : «camarade, »> dis-je à mon Hottentot non moins animé que fon maître, l’ammal » doit être ou mort ou très-malade. Monte à cheval, approche-toi


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