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les temps antérieurs, on y voyoit de ces animaux; mais je n’y en ai point trouvé. Une tradition commune à tous les Voyageurs m avoit appris qu un Navire Danois, contrarié par les vents , né pouvant entrer dans la rade du Cap , étoit venu fe mettre à l’abri dans cette Baie , & qu’après quelque féjour , le Capitaine y étant mort, fon équipage l’avoit enterré dans la petite île , & lui avoit élevé un Tombeau. Toutes les fois que pour me rendre au Schaapen-Eyland, je paffois à la hauteur de cette île , un bruit fourd qui avoit quelque chofe d’effrayant venoit frapper mon oreille. J’en parlai à mon Capitaine. 11 me répondit que , pour peu que cela me fît plaifir & m intérefsât, nous y ferions une defcente ; qu’il feroit curieux lui-même de voir le Tombeau Danois. Dès le matin, il donna les ordres ; nous partîmes. A mefure que nous approchions , ce bruit fourd piquoit notre curiofité , d autant plus que la mer , fe brifant aveç violence contre les rochers qui formoient le rempart de cettq'île, ajoutoit encore au bourdonnement dont nous ne devinions pas la caufe. Arrivés enfin, je ne dirai pas que nous mîmes pied à terre; car nous fûmes obligés de le mettre à l’eau, tant la barre s’alon- geoit avec violence ! Nous étions à tous momens couverts de fon ecume. Nous efcaladames la roche avec beaucoup de peine & de danger, & parvînmes à fon efplanade. Jamais fpeilacle fem- blable ne s’efl offert ailleurs aux yeux d’un Mortel ! Il s’éleva tout-a-ceup, de toute la furface de l’île , une nuée impénétrable qui formoit, a quarante pieds fur nos têtes, un dais immenfe, ou plutôt un ciel d oifeaux de toutes efpèces & de toutes couleurs. Les Cormorans , les Mouettes, les Hirondelles de mer , les Pélicans, tout le peuple ailé qui borde cette partie de l’Afrique étoit, je crois, raffemblé là. Tous ces croaffemens mêlés enfemble & modifiés fuivant leurs différentes efpèces, formoient une mufique horrible; j étois, a tous momens , forcé de m’envelopper la tête pour en diminuer les déchiremens, & me donner un peu de relâche. L alarme fut d’autant plus générale parmi ces légions innombrables d’oifeaux que nous avions principalement affaire aux femelles , puifque c’étoit le moment de la ponte. Elles avoient des nids, des oeufs & des petits à défendre. C’étoient des harpies acharnées contre nous. Leurs cris nous affourdiffoient. Souvent elles ^abattaient à plein v o l , & nous rafoient Je nez. Les coups de fufil redoublés ne les épouvantoient point ; rien n’eut été capable d’éçarter ce nuage. Nous ne pouvions faire un pas fans écrafer des oeufs ou des petits ; la terre en étoit jonchée. Les cavernes & les crevaffes des roches étoient habitées par des Phocas & des Mors , efpèce de Veaux & de Lions marins. Nous tuâmes , entr’autres , un de ces derniers qui étoit monf- trueux. Les plus petits abris fervoient de retraite aux Manchots qui foifonnoient par-deffus toutes les autres efpèces. Cet oifeau, d’environ deux pieds de hauteur, ne porte point fon corps comme les autres oifeaux ; il fe tient droit perpendiculairement fur fes pieds ; cela lui donne un air de gravité d’autant plus ridicule que fes ailes , totalement dépourvues de plumes, pendent négligemment de chaque côté. Il ne s’en fert que pour nager. A mefure que nous avancions vers le milieu de l’î le , nous en rencontrions des troupes innombrables. Bien dreffés fur leurs pattes, ces animaux ne fe dérangeoient en aucune façon pour nous laiffer paffer ; ils entouroient plus particulièrement le Maufolée , & fembloient en défendre l’approche. Tous les environs en étoient obftrués. La Nature avoit fait pour le fimple Tombeau de ce pauvre Capitaine Danois ce que va chercher bien loin l’imagination d’un Poète, & ce qu’exécute, à plus grands frais, le cifeau de nos Artiftes ; le hideux Chat-huant, le mieux fculpté dans nos Temples, n’a point l’air fmiftre & mortuaire du Manchot. Les cris lugubres de cet animal, mêlés aux cris des Veaux marins, imprimoient je ne fais quelle trifteffe dans l’ame qui difpofoit à l’-attendrifiement. Je fixai quelque temps mes regards fur ce dernier afyle d’un malheureux Voyageur, & j’offris un foupir à fes Mânes. Du reûe, le monument élevé fans doute à la hâte n’offroit rien de remarquable : c’étoit un quarré-long de trois pieds de hauteur , & conftruit à fec avec des éclats du rocher dont l’île s’environne. J’aurois été


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