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10 dii mois de Mai nous mîmes à la voile , accompagnés de quatre autres Vaifl’eaux ; & , le lendemain § nous' mouillâmes à Saldanha, Ce Golfe s’enfonce .diagonalement , fur la droite de fon embouchure , d’environ lept à huit lieues ; à gauche,, en entrant, on trouve une petite An fe , nommée Uonjes-Bay ; dix. ou douze Vaiffeaux de guerre peuvent y ancrer fur un bon fond ; il eft facile a des Bâtimens plus Toibles de pénétrer plus avant, même jufquàla petite ifle de Schaapm-EyLani, qui met à l’abri de toute intempérie. On y trouve , à la vérité, de l’eau inférieure à celle du Cap; mais, dans les mauvaifes mouflons, elle change de nature, & devient excellente. Les Payfans des environs apportent aux Navires qui féjournent dans cette Baie des provifions de toute efpèce, à beaucoup meilleur marché qu’à la V ille , de telle forte enfin qu’un Navire venant d’Europe , contrarié par le vent Sud- Eft qui l’empêche d’arriver à la baie de la Table , peut gagner celle de Saldanha , certain d’y trouver des rafraîchiffemens en abondance. La Compagnie entretient , près de là., un pofte de quelques hommes, fous les ordres d’un Caporal-Commandant qui, des quil aperçoit un Navire à l'embouchure de la Baie , envoie par terre un Exprès pour en donner avis au Gouverneur. Les Cachalots, efpèce de Baleine que les Hollandois appellent Noord-Kaapcr , abondent & jouent continuellement dans ce baflîn Je leur ai fouvent envoyé des balles, lorfqu’ils fe levoient droit au-deffus d elà mer; il ne m’a jamais paru que cela leur fit le moindre effet. Nous ¿trouvâmes une prodigieufe quantité de Lapins dans la petite ifle de Schaapen-Eyland. Elle devint notre garenne. Cetoit une bonne reffource pour nos équipages. Le gibier de tonte efpèce fourmille dans les environs. On y trouve principalement des'petites Gazelles , nommées Stcenbock, & toutes celles dont j’ai parlé. On y voit aufii des Perdrix? & du Lievre ; 1 embarras de monter ou de defcendre continuellement dans les fables qui bordent toute cette plage, en rend la chaffe très-pénible & très-fatigante. Les Panthères y font communes, mais moins féroces que dans d’autres parties de l’Afrique, parce que que le gibier leur procurant une nourriture facile , elles ne font jamais tourmentées par la faim. Quelques jours après mon arrivée , le Commandant du pofte me propofa de chaffer avec lui. Le lendemain, nous nous mîmes effeétivement en route. Nous voyons beaucoup de gibier , & nous ne pûmes jamais parvenir à en joindre une feule pièce ; vers le déclin du jour, le hafard nous ayant féparés, comme ii le fort eut voulu me familiarifer tout d’un coup avec les dangers que j’étois venu chercher de fi loin , je reçus une leçon à laquelle je ne m’attendois guères, & je fis , pour la première fois , une épreuve un peu rude, & qui fera friffonner plus d’un brave Citadin. Les coups de fufil que je tirois çà & là éveillèrent une petite Gazelle; mon chien fe mit à la pourfuivre; & , s’arrêtant à un très-gros buiffon, il commença fes aboyemens, tournant làns ceffe autour du buiffori. J’imaginai que la Gazelle s’y étoit retirée ; j’accourus, dans l’efpérance de la tuer ; ma préfence & ma voix excitoient merveilleufement mon chien. J’attendois, à chaque inftant, que la Gazelle parût ; mais, laffé de ne rien voir fortir , j’entrai moi-même dans l’épaiffeur du buiffon , frappant de côtés & d’autres avec mon fufil pour écarter les branches qui me cou- poient le paffage. Je n’exprimerai jamais, comme je l’ai fenti , la ftupeur & l’effroi qui me glacèrent, lorfque , parvenu jufqu’au centre du fourré, je me vis face à face d’une énorme & furieufe Panthère. Son gefte, dès qu’elle m’aperçut, fes prunelles ardentes & fixées fur moi, fon cou tendu , fa gueule à demi béante , & le fourd hurlement qu’elle laiffoit échapper, fembloient trop annoncer ma deftruûion : je me - crus dévoré. La tranquillité courageufe de mon chien me fauva. II tint l’animal en arrêt , & le fit balancer entre fa fureur & fa crainte. Je reculai doucement jufqu’aux bords du buiffon ; mon admirable chien imitoit tous mes mouyemens, ferrant de près fon maître, & réfolu fans doute de périr avec lui. Je regagnai la plaine , & repris, au plus v ite , le chemin du pofte, regardant de temps en temps derrière moi. Cependant j’entendois, dans l’éloignement, des coups de fufil tirés par intervalle. Je jugeai bien qu’ils étoient de mon Compagnon qui Tome I. C


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