entre les efpèces „ qu’elles ne montrent de différences dans les caractères 1 En revenant du nid au camp, mes chiens firent lever un Lièvre, & le lancèrent ; je le fuivis au galop , & le vis difparoître dans les cavités d un petit monticule qui fe trouvoit fur fa route; je m entêtai a fa recherche , & je parvins à deviner le lieu précis de fa retraite ; il étoit entre dans une de ces cavités par un trou que je bouchai ; on dérangea les pierres & les gravats qui for- moient la petite élévation; je ne peindrai point letonnement qui me faifit lorfque je reconnus que c’étoit un tombeau Hottentot; j y trouvai mon Lièvre blotti dans un fquelette; je le pris vivant & emportai; mais, dans un moment où mes chiens, occupés ailleurs, ne pouvoient m’apercevoir, par un mouvement de générofité, & comme fi j’euffe dédaigné de donner la mort à ce foible animal autrement qu’avec l’arme ufitée de lachaffe, je lui rendis la liberté; cette aétion fut interprétée par mes gens d’une façon qui me fit encore plus d’honneur dans leur efprit;je me gardai bien en con- féquence de chercher à les détromper; ils crurent avec la plus vive fatisfaélion que j a vois lâche mon Lièvre , non parce que je ne m’en fouciois pas, mais parce qu’ils furent perfuadés que l’afile des morts m avoit femblé trop refpeâable , & que c’étoit un hommage naturel que je venois de rendre au tombeau d’un des leurs ; nous recouvrîmes le fquelette des mêmes gravats que nous avions éparpillés , & reprîmes une autre route ; dans cet intervalle , d’autres chaffeurs avoient tué de leur côté quatre Gnous, dont la falaifon nous occupa trois jours entiers. J’arrivai le 16 fur une habitation occupée par deux frères Nègres & libres , l’un defquels étoit marié à une jeune Mulâtre ; je fus accueilli par ces aimables Naturels avec les tranfports de la joie; ils m offrirent tout ce quils poiTedoient Le dirai-je! mon coeur oppreffé de mille fentimens divers reçut froidement & leurs careffes & leurs tendres follicitudes ; je retrouvois prefque les manières ’& les ufages du monde; je rentrois dans la Société ; je revoyois des champs , des meubles , des pofTeflions, de l’ordre , des maîtres en un mot, j’étois dans une habitation ; tant d’aifance me devenoit à charge ; un penchant involontaire m’arràchoit de ce domaine ; j’en fis plufieurs fois le tour, les yeux errans de côtés & d’autres, comme pour retrouver mon chemin perdu ; j’accablois la maifon de mes plaintes, & l’envirortnois, fi je puis parler ainfi, de mes foupirs; tout.fuyoit, & les torrens, & les montagnes & les forêts majeftueufes , & les chemins impraticables , & les Hordes de Sauvages & leurs huttes charmantes , tout me fuyoit ; tout me fembloit regrettable , jufqu’aux bêtes féroces elles-mêmes à qui je prêtois en ce moment des fentimens d’habitude & de bienveillance pour moi. Je ne fais fi ces bizarreries font communes à d’autres hommes; mais plus j’y fonge, plus je fens qu’elles appartiennent à la Rature. Charme puiflant de la Liberté , force invincible qui ne périras qu’avec moi, tu transformois en plaifirs les plus cruelles fatigues ; en amufemens, les plus grands dangers ; en fpe&acles délicieux , les objets les plus noirs, & tu femois tous mes pas des fleurs du repos & de la félicité, en des temps /& dans un âge où la deftinée fembloit me contraindre de les chercher ailleurs. Ce fut chez ces deux Nègres que je mangeai du pain pour la première fois depuis un an ; j’en avois tout-à-fait perdu le' goût ; je n’avois compté m’arrêter ici qu’une journée tout au plus ; j’y paffai trois jours; il nous refloit encore bien du pays à parcourir, quelques montagnes énormes à traverfer , de grandes difficultés à vaincre dans ce défert du Camdebo, dont l’afpect vraiment impo- fant n’offre par • tou t, au lieu de la verdure & des jardins fi naturels de Pampoen-Kraal, qu’une face tantôt grife, tantôt rougeâtre & jaune , des rochers , du fable , des cailloux. En me rapprochant des Habitations , je courois moins de rifque ; en tenant à mes idées, je me promettois plus de jouiffances ; ainfi donc, fi j’en excepte les lieux où je venois de m’arrêter, je fuivis mon plan avec autant de confiance pour le retour que pour le départ ; mais je profitai du hafard qui m’avoit fait tomber chez les deux frères, pour pourvoir à la fubliflance de mon monde, & je pris mes précautions. Ils me firent une forte provifion de bifcuit ; je reconnus ce fervice effentiel, en leur donnant pour échange, de la poudre , du plomb, & des pierres à fufil: tous objets précieux qui leur manquoiènt
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