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Remis en route dans la matinée du 6 , & remontant la rivière des oifeaux, qui prend fa fource dans les montagnes de neige , un accident, qui pouvoit devenir férieux , nous arrêta quelque temps : le conduâeur d’une de mes voitures , voulant fe remettre en fiége, fut retenu par des épines auxquelles il n’avoit pas fait attention : il tomba ; la roue de la voiture , qui continuoit fa marche, paffa fur fa jambe : j’accourus & fus mille fois heureux lorfque je m’aperçus , après l’avoir bien examinée, qu’il n’y avoit aucune fraâure; je baflinaimoi - même la contufion, je l’enveloppai de plufieurs bandages imbibés d’eau de vie ; & , de peur que le malade n’en regrettât l’ufage, je lui en fis avaler un grand gobelet» il fut porté, pendant quelques jours , fur mes chariots; & fon accident n’eut pas d’autres fuites. Il fembloit que les Sneuwberg fuffent pour moi la terre promife ; je ne pouvo'is y arriver! Les obftacles fe fuccédoient. Le 7 , au moment de partir, je m’aperçus , en faifant le dénombrement de mes Beftiaux , qu’il en manquoit trois; mes gens fe répandirent de tous côtés pour les chercher ; on les retrouva ; mais cette opération avoit demandé tant de temps que nous ne pûmes atteler qu’à fept heures du foir. Nous étions encore dans les plus grands jours de l’année ; la fraîcheur des nuits étoit attrayante ; nous ne devions être qu’à quatre ou cinq lieues de Platte - Rivière ; & notre intention , fi nous y arrivions, n’étoit pas de pouffer plus avant. Nous avions à peine fait deux ou trois lieues, qu’un des Hot- tentots de l’arrière - garde , emporté par fon cheval, tombe fur nous à toute bride, fuivi de tous les relais qui arrivent dans le plus grand défordre ; l’effroi fe communique aux douze boeufs du chariot de Pampoën - Kraal, qui, dans ce moment n’ayant point de Hottentots en tête pour retenir & gouverner les deux premiers , comme il eft d’ufage prennent l ’épouvante , fe jettent en s’écartant fur le côté ; le timon caffe ; & , toujours attelés , ils le traînent après eux , s’enfoncent & vont fe perdre dans les buiffons. La confufion devient de plus en plus générale ; au mu- giffement des Boeufs, il n’y avoit pas à douter que nous ne fuÆons pourfuivis par des Lions ; on court aux armes ; tandis que les uns s’efforcent d’arrêter les Boeufs des deux autres chariots qui fe laiffoient emporter comme ceux du troifième , que d’autres s’occupent à ramaffer & à raffembler tout ce qui leur tombe fous la main pour allumer les feux , je pars accompagné de mes plus habiles Chaffeurs, & nous rétrogradons fur la route pour faire face aux cruels animaux, retarder leur marche, & donner le temps de fe livrer aux autres préparatifs. La nuit n’étoit pas encore bien obfcure ; nous étions dans une plaine fablonneufe, qui nous aidoit à diftinguer les objets à une certaine diftance ; lorfque je vis nos chiens s’approcher de nous & nous ferrer de près, je ne doutai plus de la préfence des Lions ; tout à coup j’en aperçois deux élevés fur un petit te rtre ,& qui fembloient nous attendre; nous lâchons tous nos coups enfemble, mais fans autre effet que de les voir difparoître ; nous avancions toujours dans l ’efpérance d’en abattre au moins u n , & nous continuyons, par précaution, nos décharges ; ils ne s’offrirent plus à nos regards ; c’eft en vain que nous nous fuflîons obftinés à les pourfuivre plus long-temps; ils étoient déjà loin ; les feux étoient bien allumés ; nous nous en rapprochâmes ; nos Boeufs difperfés en faifoient autant ; ils arri- voient à notre halte les uns après les autres , & bientôt il ne manqua plus que l’attelage de Pampoën-Kraal; nous entendions beugler à une certaine diftance ; aucun de mes gens ne fe foucioit de courir à la voix ; j’en engageai cependant plufieurs à me fuivre ; chacun de nous prit un tifon enflammé d’une main , un fufil de l’autre ; & , fous la conduite des Chiens qui nous précédoient , nous allâmes à la recherche , & arrivâmes fur la place ; le morceau de timon qiie ces Boeufs avoient traîné avec eux, s’étoit pris entre deux arbres & les avoit arrêtés ; ils étoient tous en peloton, & tellement embarraffés dans les traits, qu’il n’y eut d’autre moyen que de les mettre en pièces ; trois de ces Boeufs manquoient ; ils étoient parvenus à brifer leur joug ; nous les croyions dévorés : mais, de,retour à nos feux, j’appris qu’ils s’y étoient rendus & ne faifoient que d’arriver. Un inftinâ pur & machinal avoit-il appris à ces animaux que, fous la fauve-garde du feu, ils n’avoient rien à craindre de leurs


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