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ICops-Rivier j je le joignis & m’entretins quelque temps avec lui; il ne put retenir fes larmes en me contant que, dans le commence- mens de la guerre avec la Caffrerie contre laquelle il n’avoit jamais voulu fe liguer à l’exemple des autres Colons, il avoit eu le malheur lu i, fa femme, fon fils unique & quelques Hottentots d’être attaqués , pendant la nuit , par ces CafFres qu’il avoit toujours ménagés; que chacun s’étoit précipitamment caché dans des buiffons; mais que, le jour venu, la troupe s’étant rejointe, il avoit trouvé fon fils percé de mille coups de fagayes , à la place même oh nous étions aauellement arrêtés l’un & l'autre; le récit de cet infortuné père me pénétra de douleur ; je n’effayai point de calmer la fienne; le plus morne filence exprimoit mieux que de vains difcours tout ce qn il devoit attendre de confolations de la part d’uu être fen- iible; il avouoit cependant que les Caffres étoient fondés dans leurs haines, mais qu’il étoit bien malheureux pour les innocens, que les effets n en retombaffent pas fur les fëuls coupables. Je le priai, pour le diftraire un peu, de paffer la nuit près de moi, je le traitai de mon mieux; je le régalai de mon meilleur thé , & lui donnai d’excellent tabac; les écarts de la converfation nous conduifirent, je ne fais comment , fur l’article des chevaux ; il me dit qu un de fes amis, habitant du Swart-Kops, lui en avoit fait voir un qu il avoit pris a la chaffe ; & que , n’ayant pu découvrir a qui il appartenoit il, le gardoit chez lui; cela me rappela celui que j’avois abandonné fur les bords du Krom-Rivier à la for.tie du Lange-Kloof, il y avoit fept ou huit mois; d’après le fignalement que je lui en donnai , il demeura fi convaincu que cetoit mon cheval , qu il m offrit auffitot de me laiffer choifir une coup.le de fes Boeufs, fi je voulois le lui céder , & lui donner un mot de lettre pour quil pût l’envoyer chercher; mon cheval valoit certainement plus que ce qu’il m’offroit ; mais calculant, d’un côté les difficultés & les retards d’une route longue & pénible ; & , de 1 autre, le fervice que je pouvois, fur le champ , tirer des deux boeufs qu il m offroit, voulant d’ailleurs lui donner une marque deftime & damitié, je ne balançai point à accepter fa propo- fition , & lui donnai un. billet pour réclamer mon cheval. Je pris toujours ma marche vers les Sneuwberg que nous ne perdions pas de vue , au pied defquelles je me flattois d’arriver le jour même; mais, vers les onze heures., une chaleur des plus exceffives nous arrêta fur les bordsde Bly-Rivier, où nous fûmes obligés de paffer la nuit; ce torrent ne fut pas pour nous d’une grande reffource; il ne couloit plus; la féchereffe l’avoit tari; nous n’eûmes d’autre reffource, pour étancher la foif dont nous.étions dévorés, qu’une eau ftagnante & de mauvais goût qui croupiffoit dans les endroits les plus profonds de fon lit. A la pointe du jou r , nous nous empreffàmes de quitter ce défagréable gîte, & trois heures & demie de marche nous firent rencontrer une autre rivière nommée Vogel-Rivier ( rivière des oifeaux ) ; je remarquois entr’autres fingularités, que, plus nous approchions des montagnes de neige, plus la chaleur devenoit accablante ; les rocs amoncelés qui compofent ces pics fourcilleux , échauffés , fans doute, par les rayons ardens du foleil les réfléchit, & les concentre dans les vallées qui les avoifinent ; le mal-aife général de toute la caravane ne nous permit pas d’aller plus loin. Dans le court efpace que nous venions de parcourir pour gagner d’une rivière à l’autre, nous n’avions rencontré qu’une feule troupe de Gazelles Springbock ; mais il faut dire qu’elle occupoit toute la plaine ; c’étoit une émigration dont nous n’avions vu ni le commencement ni la fin ; nous étions précifément dans la faifon où ces animaux abandonnent les terres sèches & rocailleufes de la pointe d’Afrique ; pour refluer vers le Nord , foit dans la Caffrerie, foit dans d’autres pays couverts & bien arrofés : tenter d’en calculer le nombre ; le porter à vingt, à trente, à cinquante mille , ce n’eft rien dire qui approche de la vérité; il faut avoir vu le paffage de ces animaux, pour le croire ; nous marchions an milieu d’eux , fans que cela les dérangeât beaucoup ; ils étoient fi peu farouches , que j’en tirai trois, fans fortir de mon chariot; il nous eût été facile au befoin d’en fournir pour long-temps à *des armées innombrables. Au furplus la retraite de ces Gañiles qui quittoient le pays que nous allions parcourir , nous annonçoit, plus fûrement que l'Almanach de Liège, les féçhereffes auxquelles nous devions nous attendre.


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