Page 199

27f 81

3J4 V O Y A G E m’eût été facile d’oublier qu’il eft d’autres climats, d’autres moeurs \ d’autres plaifirs. Dès le matin du jour fuivant , nous délogeâmes ; & , trois heures plus tard, quelques Sauvages Hottentots s’offrirent à notre rencontre ; ils conduifoient devant eux des Moutons, & faifoient route pour rejoindre leurs Hordes refpeûives, dont ils s’étoient éloignés dans je ne fais quel deffein ; je leur payai généreufement une couple de leurs bêtes dont j’avois befoin ; nous marchâmes avec eux pendant plus d’une heure ; après quoi, leur deftination n’étant plus la nôtre , ils nous quittèrent pour regagner leurs Kraals, à quelques lieues de là; nous fûmes arrêtés, trois heures après , par le Klein-Vis qui §? de puis que nous l’avions traverfé , s’offroit à nous pour la troifième fois. Les roues d’une de mes voitures commençoient à fe déboîter ; les rayons jouoient tellement dans lés moyeux que le moindre cahot nous faifoit trembler ; un plus long retard eût augmenté le mal ; il fut réfolu que nous relierions campés quelques jours pour les réparer ; c’eft à cette place que, deux jours après , fuivant le nouveau ftyle de mon Calendrier, nous pafsâmes le premier jour de l’an 1782. Les Hottentots, qui ne comprennent rien à l’année folaire, font éloignés de connoître l’étiquette du premier jour qui la commence ; ainfi point de complimens de notre part & par conféquent point de faux fermens & d’hypocrites proteftations ; je me donnai feulement, pour mes étrennes, un chapeau neuf que je n’avois pas encore retappé, & Fon tira au blanc celui que je quittois ; Klaas fit voler la bouteille en mille pièces ; je ne faurois peindre la joie qu’il reffentit d’avoir remporté ce prix, qui ajoutoit, à fa garderobe, un meuble précieux, une parure plus magnifique encore que la culotte ufée dont je lui avois fait cadeau, lors de mon entrée folennelle chez les Gonaquois. . Le lendemain, tandis que nous étions occupés de notre chariot & de fes roues, la joie fe répandit; tout d’un coup, fur tous les vifages. Lorfque je demandai la caufe de cette vive émotion, on s’approcha de moi pour me faire remarquer, dans le lointain, un nuage qui s’avançoit vers nous ; je ne voyois rien à ce phénomène qui dût fi fort nous réjouir ; ce ne fut que lorfque ce prétendu nuage nous eut gagnés, que je diftinguai qu’il n’étoit formé que par des millions de fauterelles qui faifoient route. On m avoit beaucoup parlé de l’émigration de ces infe&es qui s affemblent tous les ans par bandes innombrables & quittent les lieux qui les ont vu naître pour aller s’établir ailleurs ; mais je les voyois pour la première fois ; celles - ci voyageoient en fi grand nombre, que l’air en étoit réellement obfcurci ; elles ne s’élevoient point beaucoup au-deffus de nos têtes ; elles formoient une colonne qui pouvoit embraffer deux à trois mille pieds en largeur, & , montre à la|main, elles mirent plus d’une heure a paffer. Ce bataillon étoit tellement ferré, qu’il en tomboit comme une grêle des pelotons étouffés ou démontés ; mon Keès les crôquoit à plaifir en même temps qu’il en faifoit provifion. Mes gens s’en firent aufli un régal ; ils me vantèrent fi fort l’excellence de cette manne que , cédant a la tentation , je voulus m'en régaler comme eux : mais, s’il eft vrai, comme on 1 affure, qu’en Grèce & nommément dans Athènes, les marchés publics étoient toujours fournis de cette nourriture & qu elle faifoit les délices des gourmets de ce temps, j avoue de bonne - foi que j’aurois mal figuré parmi ces Acridophages, a moins qu avec le goût des Grecs, le Ciel ne m’eût fait jouir d’une conftitution différente. Nous partîmes enfin, le 3 Janvier; & , laiffant derrière nous la chaîne des montagnes du Bruyntjes-Hoogte , nous aperçûmes , au Nord,' celles de Sneuwberg après lefquelles nous afpirions depuis fi long-temps. Quoique nous fuflions parvenus a la faifon des plus fortes chaleurs nous découvrions encore de la neige dans les infrac- tuofités & les enfoncemens les plus rapprochés du fommet de ces formidables montagnes. Tandis que je m’amufois a les confiderer avec ma lunette, mes Hottentots m’annoncèrent quils voyoient paroître un blanc ; cette nouvelle m’infpira le plus vif intérêt ; il y avoit tant de temps que je n’avois vu des hommes de cette couleur! Celui-ci avoit fait un affez longue route, uniquement dans le deffein de fe procurer du fel dans un lac fitué près de Swart- Y y ij


27f 81
To see the actual publication please follow the link above