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croyance, fondée fur des faits que j’euffe été moi même en état d’attefter, auroit pu confacrer, au .fein des déferts d’Afrique, le premier miracle d’une religion naiffante. Je rencontrai, par-tout dans la forêt , une efpèce de Singes Cercopithèques à face noire; mais je ne pouvois jamais les atteindre. Sautant d’un arbre à l’autre, comme pour me narguer, un clin-d’oeil vo yo it, tour-à-tour , paroître 8c difparoître ces Cercopithèques turbulens; je me fatiguois vainement à leur pourfuite ; cependant, un matin que je rôdois aux environs de mon camp , j’en aperçus une trentaine affis fur les branches d’un arbre, & préfentant leurs ventres blancs'aux premiers rayons du Soleil. Celui qu’ils ayoient choili étoit affez ifolé pour que l’ombre des autres ne les gênât pas; je gagnai, par le taillis, l’endroit qui m’en approchoit le plus, fans être découvert ; & de là , prenant ma courfe , j’arrivai à leur arbre avant qu’ils euffent eu. le temps d’en defcendre ; j’étois certain qu’aucun d’eux ne s’étoit échappé ; malgré cela, je n’en pus apercevoir un feul, quoique je tournaffe de tous côtés & mes regards & mes pas, & que je fille le plus févère examen de l’arbre où je favois qu’ils étoient cachés. Je pris le parti de m’affeoir à quelque diftance du pied,& de guetter de l’oeil, jufqu'à ce que j’aperçuffe quelque mouvement ; je fus payé de ma confiance, après un affez long efpace de temps ; je vis enfin une tête qui s’alongeoit pour découvrir apparemment ce que j’étois devenu ; je l’ajuftai , l’animal tomba ; je m’étois attendu que le bruit du coup alloit faire déguerpir toute la troupe ; c’eft ce qui n’arriva cependant pas ; & , pendant plus d’une demi-heure encore que je gardai mon pofte, rien ne remua; rien ne parut. Laffé de ce manège fatigant , je tirai au hafard plufieurs coups dans les branches de l’arbre , & j’eus le plaifir d’en voir tomber deux autres ; un troifième , qui n’étoit que bleffé s’accrocha, par la queue, à une petite branche; un nouveau coup le fit arriver à fon tour ; content de ce que je m’étois procuré, je ramaffai mes quatre Singes & je marchai vers mon camp; lorfque je fus à une certaine diftance de l’arbre, je vis toute la troupe, qui avoit calculé mon éloignement, defcendre ayec précipitation & gagner l’épaiffeur du bois , en pouffant de grands grands cris; je jugeai, à quelques traîneurs qui fuivoient péniblement, boitant du devant ou du derrière , que mes plombs en avoient bleffé plufieurs ; mais, dans cette fuite précipitée, je ne remarquai point , comme l’ont dit quelques Voyageurs , que les mieux portans aidaffent les eftropiés en les chargeant fur leurs épaules , pour ne point retarde;: la marche commune , & je crois, qu’à leur égard ainfi qu’à celui des Hottentots, pourfuivis en guerre , la Nature eft la même , & qu’on a déjà trop de veiller à fon propre falut, pour s’occuper de celui des autres. De retour à ma tente, j’examinai ma chaffe ; cette efpèce de Singe eft d’une grandeur moyenne ; fon poil , affez long , eft généralement d’une teinte verdâtre ; il a le ventre blanc, comme je l’ai déjà d it, & la face entièrement noire; fes feffes font calleufes ; cette partie nue eft , ainfi que celles de la génération du mâle, d’un très-beau bleu; dans le moment où j’examinois ces animaux, Keès entre dans ma tente ; je crois qu’il va jeter les hauts cris, en apercevant fes camarades , quoique d’une efpèce différente de la fienne ; il me parut qu’il ne craignoit pas autant les morts que les vivans ; il montre de l’étonnement ; il les confidère l’un après l’autre; les tourne & retourne en tous fens pour les examiner , comme il me l’avoit vu faire ; il n’étoit pas, je crois, le premier Singe qui voulût trancher du Naturalifte; mais un fecret mot i f , beaucoup moins généreux , le preffoit fortement ; il avoit découvert des tréfors en tâtant les joues des quatre défunts; je le vis bientôt fe hafarder à leur ouvrir la bouche, l’un après l’autre & tirer de leurs falles ( * ) des amandes toutes épluchées de l’arbre GcelHout, & les entafler dans les fiennes. Le cappement que j’occupois devenoit intéreffant & riche pour moi ; il étoit, de plus, agréable à mes gens 8c très - abondant pour mes beftiaux ; aufli j’y reftai jufqu’au 28, 8c ne le quittai quavec beaucoup de regret; c’eft un de ceux où je fens qu’il ( * ) Les Naturalises nomment faites ces efpèces de poches qu'ont le s linge* entre les joues Sc les mâchoires inférieures ; c ’eflr une (brte de magalin dans lequel ils confcrvent, pour l'o c c a h o n , les fruits qu'ils tro u v en t, loriqu'ils n’ont ni le temps ni le befoin de les manger. Tome II. y y


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