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elle étoit certainement plus embarraffante par fon volum'e que par fa pefanteur, quoique j’euffe toujours pris foin, après avoir apprête chaque individu, de le coucher à plat pour ménager la place. Le 1 5 , nous traverfâmes la petite rivière que nous avions fuivie jufques-là, afin d'éviter des montagnes flériles & trop efcarpées qui fe préfentoient à nous ; nous fûmes enfuite obligés de décliner du côté du Sud, parce que, ne trouvant aucun chemin frayé, les circonftances & le local déterminoient feuls notre marche. Je fis lever, à mes pieds, une grande Outarde que je tuai; elle couvoit deux oeufs dont les petits , prêts à éclore , étoient entièrement couverts de leur premier duvet. J’étois. charmé que le hafard m’eut procuré cet oifeau neuf pour moi ; il nie parut que le mâle & la femelle couvoient alternativement leurs oeufs ; celui que je venois de mettre à bas étoit le mâle ; il portoit , derrière la tête , une huppe très-grande & tiès-touffue en forme de capuchon. La femelle ne tarda pas à venir rôder autour de nous ; elle fembloit nous obferver , & jetoit de temps à autre un cri fort rauque; je m’étois flatté de l’abattre ; c’eft dans ce deffein que j’avois laiiFé les deux oeufs dans le nid ; mais , comme , dans tous les environs , il n’y avoit pas d’endroit où je puffe me mettre à l’affût fans qu’elle me v it, elle n’approcha point; je renonçai à mon projet, & continuai .ma route. Il eft probable qu’il n’exiftoit pas un feul Caffre dans toute la partie que nous avions traverfée jufqu’alors; car les coups de fufil que depuis quelques jours nous tirions continuellement, foit dans nos marches, foit dans nos divers campemens, auroient dû nous découvrir & les amener fur nous, puifqu’ils font fi.peu craintifs» nous n’étions pas tous de même avis fur cet objet, qui fai foit, durant la marche, la matière ordinaire de nos converfations ; les uns prérendoient qu’il devoit y avoir des Caffres , mais que, n’étant pas en force, ils n’ofoient fe .montrer ; les autres foutenoienf qu’il n’y en avoit point, puifque nous n’en étions pas affaillis; mais lorfqu’il étoit queftion de la conduite que nous devions tenir fi ttotis en rencontrions , tous déraifonnoient, & formoient les plans de défenfe. les plus ridicules & les moins praticables. Seul , jie penfois qu’il falloit effuyer la première décharge fans ripofter , 8t tâcher d’en venir, par la douceur, à des explications, avant que de nous fervir de nos armes, qui nous affuroient ¡avantage , fi nous étions forcés d’y recourir. Je ne doutois point que ce moyen ne réufsît, fi nous nous voyions attaqués pendant le jour ; pour la nuit , c’étoit autre chofe ; dans ce fage projet d accommodement, je vovois des difficultés prefque infurmontables , & c etoit pour éviter toute efpèce de malheur, que nous avions conftamment pris le parti de coucher à cinquante pas de ma tente , fur laquelle j’avois grand foin de laiffer flotter mon pavillon , qui s apercevoir d’affez loin. Cette petite rufe nous mettoit au moins a 1 abri de la première furprife. Nous ne ceffions point, pour cela, nos courfes & nos chaffes ; l’eau devenoit moins abondante ; je commençois à éprouver des craintes terribles. Un jour que le tems étoit reflé couvert ,■ ce qui nous avoit procuré une marche de plus de fix heures fort agréable & douce, j’aperçois Keès qui, tout-à-coup, s’arrête, & qui portant les yeux & le nez au vent fur le côté, fe met a courir, entraînant tous mes chiens à fa fuite fans qu’aucun d’eux donnât de la voix ; étonné de ce manège fi nouveau , n’apercevant rien qui pût les artirer fi fingulièrement , je pique des deux pour les joindre. Que je fus étonné de les trouver raffemblés autour d’une jolie fontaine éloignée de plus de trois cents pas de l’endroit d’où ils venoient de détaler! je fis ligne à mes gens de s’approcher; ils arrivèrent , & nous campâmes près de cette fource bienfaifante * qui pxit, fur le champ , le nom du magicien qui l’avoit découverte. J’aurai plus d’une fois occafton de rappeler des circonflances dans lefquelles l’inflind des animaux que j’avois avec moi m’a rendu de fignalés fervices ; ils m’ont tiré de plus d’une angoiffe cruelle, fous lefquelles j’aurois fuccombé fans leur fecours. Je n’ai jamais douté que l’homme n’ait reçu du Créateur , en égale proportion, les mêmes facultés ; fa corruption infenfiblement lui- a tout fait perdre ; les Sauvages , d’autant plus près de la Nature qu’ils s’éloignent de nous, ont aulfi les fens bien plus fubtils ; enfin, moi


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