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les humilier par un refus; car telle a toujours été ma maxime de ne jamais contrarier les ufages reçus , dans tous les lieux où je me fuis trouvé ; rien ne bielle & n’indifpofe autant un peuple que d’attaquer fes opinions, fes goûts, fes ufages, par la critique & le ridicule; ,& .rien n’eft en effet plus abfurde & plus: indécent. Je m’afflige d’avoir ce reproche à faire à la plus aimable & la plus fociale des Nations, & de la voir par-tout fur ce point l’objet du blâme , même de fes plus proches voifins. Peut-on trouver étrange de ne point voir à Londres les airs , les façons & les gentillefles de l’agréable Etourdi des bords de la Seine ? L’homme fenfé n’im- prouve jamais d’une manière oftenfible rien de ce qui fe pratique dans le Pays qu’il parcourt ; quelque ridicules qu’en foient les préjugés, il a l’air de les refpeâer, parce qu’il n’a pas le droit de les contredire ; cette méthode, qui laiffe un champ libre à fes réflexions , ne préfentant rien d’oflfenfant , lui procure l’accueil flateur & les prévenances que fe doivent tous les hommes quelles que foient leurs patries diverfes. S’il eft un cas où l’application de ces principes foit indifpenfâble, c’eft fur-tout à l’égard des peuples Sauvages. Pour moi, rien n’eft au deflùs du Rosbif & du Pouding, quand je les mange en Angleterre; je fablerois l’huile de baleine avec les Lapons; chez les Hottentots*, content de leurs grillades, j ’oublie aifément le pain, & trouve le blé fort inutile. Quelque foit l’attachement du Caffre pour fes troupeaux , il n’efl: cependant pas exclufif; une affeftion prédominante & qui va même jufqu’à la paflïon, le porte,vers le chien ; il a pour cet animal des attentions & des complaifances outrées ; aufli la reconnoiffance’ en fait-elle bientôt fon meilleur ami ; ma meute ne fut jamais autant careffée ni fi bien nourrie que pendant le féjour de la petite Horde que j’avois avec moi; mon grand Yager étoit fur-tout pour elle un fujet d’admiration; on ne pouvoit voir .( ne ceffoit on< de me répéter ) une plus magnifique bête; l'engouement à fon égard s’étoit fi fort emparé des efprits , qu’il n’y avoit pas un feul homme dans la troupe qui ne fe fût emprefle , fi je Pavois voulu, de le troquer contre un attelage de douze Boeufs; il faut convenir qu’Yager étoit le Chien le plus fo r t, le mieux fait qui fût dans toutes les Colonies, 11 ne quittoit plus nos hôtes ainfi que fes camarades ; ils pafloient tous la plus grande partie des journées dans leurs Krâals ; ces bonnes gens les laifloient boire tranquillement te lait dé leurs paniers auxquels ils n’auroient pas ofé toucher que ces Parafites toujours altérés ne fuifent raflafiés & Conteiis; je fuis pèrfuadé que ces animaux, qui fe rendoient pourtant tous les foirs afliduemënt au gîte , n’auroient été pour nous d’aucun fecours , fi nous avions eu quelque danger à craindre de la part de ces Sauvages. Ils sètoient fi fort attachés aux ' Caffres , & avoient tellement perdu rhabitüdé de mes gens,.que, lorfqu’il arrivoit quun dentreùx fë fut un peu trop écarté, & rentrât au camp plus tard qu’à l’ordinaire, il étoit forcé de crier à fes camarades de retenir lés Chiens , pour éviter d’en être affailli, peut-être même déchiré. Au plus léger lignai d’une intention perfide de la part des Caffrès, fèiifle'fait mettre tonte la meute à rattaché“; mais comme je. n’aper- cevois rien qui dût éveiller ma défiance , c eut été les mortifier en vain & les priver d’une fatisfaflion qui les attachoit davantage à ma p e r f o n n e , & détruire .cette douce franchife qui la leur ren- doit, de moment en moment, plus facrée: Duref teje ne partageoïs cette manière de voir avec'perfonne ; j’anrois vainemént effayé de: la faire1 adopter à mes Hottentots ; une terreur panique les tenant dans une crainte continuelle & fur leurs gardes, toutes mes repréfentations , toutes les remarques de franchi fe , de b o n h o m i e , d’aveux'même indifetets de la part de ces nouveaux-venus , rien n’étoit capable de déraciner leur prévention ; la Caffrerie , à les entendre, alfoit être bientôt le tombeau que je prenors plaifir à creufer de mes propres mains ; & , comme ils tefu- foient d’être les complices de mon imprudence & de ma mort, ils ne confentoient point dû tout à s’en voir les viftiffles ; ni la crainte des châtimens , lorfque je ferois rentré" fous la domination des Hollandois, ni mes menaces dé punir moi-même d’auffi lâches défetteurs, n’étoient point capables de letir en impofer. Ce changement me paroifloit toujours nouveau ; je ne pouvois m’accoutumer à tant d’obftination, de réfiftance & d’oubli de tous leurs devoirs ; je les avois déjà trouvés , il efl: vrai , récalcitrans.


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