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durant leur voyage. Autant inquiet de favoir par moi-meme s ils nè m’avoient point dérobé quelques outils , que curieux de con- noître la manière dont ils s’y prennent dans une opération aufli difficile pour des Sauvages privés des outils même les plus fimples, j’engageai deux d’entr’eux à fe détacher & à vouloir bien me conduire à la forge. Cette vifite inopinée, qui me fournit l’occaiiorr de donner à ces peuples des éclairciffemens fur le premier méca- nifme de la forge dont ils ne fe doutoient même pas , aura peut- être eu des fuites trop remarquables , & je ne dois pas omettre les moindres détails d’une fcène aufli neuve pour ces Sauvages que pour moi. Les Caffres travaillent & forgent eux-mêmes leurs fagayes ; mais ne connoiffant du fer que fa malléabilité , leur art né remonte pas; jufqu’à fa première fonte ; ainfi c’cit du fer déjà travaille qu il leur faut ; ils tirent admirablement bien parti des vieux canons de fufils, dès cercles de tonneaux & de toute autre jeraille de ce genre i iis portent des fagayes de deux efpèces ; les unes ont la- tige du fer unie & tout-à-fait ronde ; les autres , plus’ artiftement , je devrois dire plus cruellement, travaillées, ont cette tige quarrée ; les quatre angles en font découpés en pointes qui s’inclinent, tandis que les alternes remontent en fens contraire; ce qui néceffite le déchirement des chairs , foit qu’elles entrent dans le corps foit qu’on les en retire. On ne peut qu’admirer leur patience lorfqu’on fonge qu’avec un bloc de granit ou la roche même qui leur fert d’enclume, & un morceau de la même matière pour marteau, ou voit fortir de leurs mains des pièces aufli bien finies que fi la mai» du plus habile armurier y avoit paffé ; je lui défierois avec toute Tadreffe & les combinaifons de fon génie, de rien faire avec les deux feuls inftrumens dont je viens de parler, qui approchât de ce que font ces Sauvages. Ceux auprès de'qui je me trouvois aüuellement, étoient réunis autour d’un grand feu au pied d’une colline graniteufe ; ils reti- roient du brafier une barre de fer affez groffe & profondément rougïe ; ils la posèrent fur une enclume , & fe mirent à la battre- avec des pierres fort dures, & de la forme la plus favorable & la plus aifée à faifir ; ils s’y prenoient fort adroitement ; mais ce fut leur foufflet qui me parut bien extraordinaire , & qui me fournit fur le champ une belle occafion de leur donner fur ce mécanifme utile des notions qui leur auront été bien profitables , s ils ont fçu lesmettre en oeuvre! Leur foufflet étoit donc un meuble bien miférable ; il étoit fait d’une peau de Mouton foigneufement vidée par une légère incifion & bien recoufue. Les parties de 1 origine des quatré pattes qu’ils avoient retranchées comme inutiles & même embaraffantes, étoient nouées. Ils avoient également tranché la tête, & fubftitué eu place un bout de canon autour duquel ils avoient ramaffé & fortement attaché la peau du cou; le fouf- fleur préfentant d’une main ce canon au foyer, éloignoit & rap- prochoit avec l’autre main l’extrémite de cette peau ; cette méthode fatigante ne donnoit pas toujours affez d aèlivite au feu pour faire rougir le fer; mais, n’en fachant pas davantage, ces pauvres Cyclopes ne fe rebutoient point; j’avois pitié d eux, & le mal que je les voyois fe donner , doubla le plaifir que je me promettois de- leur indiquer fur le champ un moyen plus facile. J avois beaucoup de peine à leur faire comprendre combien étoit fupérieure à leur invention celle des foufflets de nos forgerons d’Europe; perfuadé que le peu qu’ils faififfoient de ma démonflration s’échap- peroit bientôt de leur mémoire , & ne leur feroit d aucun profit, je réfohis de joindre l’exemple a la leçon, & de les faire operer devant moi ; je dépêchai un des miens à mon camp, & lui dis de m’apporter deux fonds de caiffe, un morceau de Kros d’é té , un cercle , des petits doux , marteaux , fcie & tous les outils dont j ’avois befoin ; avec tout cela, lorfque mon homme fut de retour , je leur compofai à la hâte & fort groflièrement un foufflet qui n’étoit guères plus fort que ceux qu’on emploie ordinairement dans nos cuifines; deux morceaux de cercle que je plaçai dans l’interieur , fervirent à retenir la peau dans un écartement toujours égal ; je n’oubliai point de faire, dans la partie inférieure un évent ou fou- pape pour l’afpiration plus prompte de l’air, moyen fimple dont ils ne fe doutoient même pas & qui les forçoit d’employer un temps confidérable à remplir leur pèau de Mouton; je n’avois » O o ij


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