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Quelque révoltante que paroîtra l’anecdote fuivante, je la place ici, comme ils me la racontèrent & comme on me l’a depuis vingt fois certifiée. Dans un moment où les Colonies & les Caffres pacifiés vivoient en bonne intelligence, & n avoient plus lieu de fe. craindre & de fe periécuter, le tigre du Bruyntjes-Hoogte , que cette harmonie déconcertoit, & qui ne pouvoit fe plaire qu’au fein du carnage & des meurtres, dans l’efpoir de ranimer les étincelles de la guerre , & de faire renaître d’anciennes querelles, imagina de fe procurer de la Ville quelques canons de fulil qui n’étoient plus bons que comme vieux fer; il trouva facilement à les échanger avec les Caffres qui en ont toujours befoin ; le marché conclu avant de livrer ces canons il en encloue les lumières, met dans chacun double charge de poudre , les emplit en outre de mitrailles & de morceaux de fer qu’il y fait entrer de force jufqu’à la bouche; les malheureux Sauvages qui ne counoiffent l’arme à feu que par fes funeftes effets & nullement par fon mécanifme , emportent chez eux ces canons & fe difpofent bientôt à les façonner pour en faire des fagayes; les feux font allumés; on y dépofe les fatals canons; ils s échauffent ; la poudre s’embraie & produit une détonation épouvatable qui éparpille dans un moment l’immenfe brafier , les inftrumens, les hommes , & va en eftropier un grand nombre à des diftances éloignées ;un d’entre ceux qui me citoient cet événement, dont toute la Horde avoit été témoin , me îaifoit compter toutes les bleiïures qu’il avoient reçues dans cette expérience tragique, & les cicatrices ineffaçables dont fon corps étoit couvert. Un trait de cette nature fuffit foui pour juftifier les Caffres de la haine implacable , qui fermente dans leurs coeurs ulcérés, & dont ils fucent le levain en naiffant ; pourquoi donner comme les effets d un caractère naturellement atroce, ces attaques imprévues 8t fubites , qui ne font dans le fond que de juftes repréfailles ; la Nature n’a pas été marâtre pour le Caffre plus que pour les autres Sauvages; l’injuilice & la tyrannie les révoltent tous également; l’être le plus tranquille, le plus infouciant qu’on, connoiffe , le Caraïbe des côtes Méridionales d’Amérique , fe transformeroit en un Lion furieux, ii quelque téméraire ofoit feulement attaquer la chétive retraite dont il fe contente. Si, fatigués par les perfécutions, continuellement harcelés & dépouillés , ,1e défefpoir a quelque fois conduit les Caffres à la cruauté, f f quelque fois leurs projets de vengeance ont réuffi, s’ils ont foulé, ravagé des récoltes, brûle des habitations, maffaçré les propriétaires, la Nation blanche leur avoit prêté fa fureur en leur donnant l’exemple des plus affreux cxçes. La haine du Caffre, malheureufetnent s’étend encore fur une partie des Hottentots que la politique infidieufe & perfide des Colons n’a pas manqué de pervertir & de faire entrer dans fes conjurations , afin de diminuer les rifques auxquels la façon de manoeuvrer des Caffres les expofe & pour leur oppofer des forces égales. Mais ces précautions fouvent échouent contre l’adreffe & l’active vigilance de l’ennemi des Colons. Le Hottentot, trop timide & trop mal armé pour fe montrer a découvert, compte beaucoup fur la rufe ; chargé de l’efpionage , il va fourdement reconnoître les lieux occupés par l’Ennemi , fur-tout ceux ou fes richeffes font en réforve ; l’oeil perçant du Caffre a bientôt éventé ces marches obliques ; il fond comme un trait fur 1 efpion , & 1 immole à rinftant. ; Je commençois, en l’étudiant chaque jour davantage, à prendre de cette Nation fi calomniée, une opinion non moins favorable que de celle des Hottentots; & toujours d’après mes principes , & ma manière de traiter avec les Sauvages, je n’en fauroisimaginer avec qui j’euffe eu des périls à courir. Mes journées , dont je variois les occupations & les plaifirs, s’écouloient comme par le paffè , fans inquiétude & fans troubles. J’avois recommencé mes chaffes; mes- hôtes m’y fuivoient alternativement ; mais je me faifois- aecom-, pagner de préférence par le jeune Caffre qui me donnoit le plaifir de voir tomber tantôt un Gnou, tantôt une autre pièce qu’il abattoit de fa fagaye redoutable, avec autant d’adreffe qu’il en avoit montré pour abattre le Mouton. Dans une de nos courfes, il m’aida à tuer un Hippopotame mâle & de la plus grande taille ; ce fut le foui que nous rencontrâmes, peut-être auffi le feul qui fût à dix lieue»


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