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que je place i c i , quoiqu’il appartienne à mon fécond V o y a g e beaucoup plus au Nord du Cap & vers la côte O u e ft, achèvera ce tableau que j’ai tracé dans toute la candeur & la vérité de mt>n am e , fans é lo q u en c e , il eft v r a i , mais fans enthoufiafme , fans vaines déclamations , avec cette naïveté de franchife qui m’eft fi chère & que j ’aime à profeffer fans ceffe. Une Horde affez confidérable de Kaminou - Kois étoit venue vifiter mon camp avec cette confiance que donnent toujours des intentions honnêtes & droites & que pofsèdent ' les hommes que leurs femblables n’ont point encore trompés. Forcé de ménager mes provifions, il ne m’étoit pas poffible de régaler tout ce monde avec de l’eau de vie ; la troupe étoit trop nombreufe ; je ne pou-’ vo is , fans imprudence, me montrer . généreux ; j’en fis donner un Verre au Chef & à ceux qui, par leur figure & plutôt encore par leur âge, me paroiffoient les plus refpeâables. Mais à quelles reffources, à quels moyens n’a pas recours la bienfaifance, & qu’elle eft ingénieufe quand elle veut fe communiquer ! quel fut mon étonnement, lorfque m’apercevant qu’ils confervoient la liqueur fans l’avaler, je les vis tous s’approcher de leurs camarades qui n’en avoient point reçu & la leur diftribuer de bouche à bouche de la même manière dont les tendres oifeaux du Ciel fe donnent la becquée : je l’avouerai, cette ait ion inattendue me troubla; j’en demeurai ftupéfait ; à la vue de cette fcène touchante, quel coeur dénaturé n’eût point fenti couler les larmes de l’atten- driffement ! plein d’admiration & de refpeét, ému jufques au fond de l’ame , j’allai me jeter dans les bras du Chef qui, comme les autres, venoit de partager la liqueur à ceux qui l’entouroient, & j’inondai de mes pleurs fa figure vénérable. Beaux difeurs, élégantes coquettes parfumées d’ambre & de mufc, criez à l’horreur & livrez- vous à vos charmantes grimaces ; les maux d’eftomae, les vapeurs & tous les miafmes d’une fanté débile, fruits ordinaires d’une vie bonteufe confirmée à trente ans, n’offroient rien de repouffant à mes céleftes Kaminou-Kois dans cette communication fi douce & fi fraternelle. Je ne tne fuis jamais rappelé, fans émotion ,’ce peuple refpeélable & plufieurs plufieurs autres encore chez qui j’ai vu répéter la même cérémonie ; & lorfqu’en nous féparant je les voyais s’en retourner fatisfaits & tranquilles : Mortels heureux , me difois - je , confervez long-temps cette précieufe innocence.; mais vivez ignorés ! Pauvres Sauvages, ne regrettez.point d’être nés fous un Ciel brûlant, fur un fol aride & defféché qui produit à peine des bruyères & des ronces.; regardez, ah ! plutôt regardez votre fituation .comme une faveur fignalée.du .Ciel; vos déferts ne tenteront jamais la cupidité des Blancs ; unifiez - vous aux peuplades fortunées qui n’ont pas plus que vous le bonheur de les connaître ; détruifez, effacez jufqu’aux moindres traces de cette poudre jaune qui fe métallife dans vos ravines & dans vos roches ; vous êtes perdus, s’ils la découvrent; apprenez qu’elle eft le fléau de la terre, la fource de .tous les crimes, & redoutez, fur-tout l’approche d’un Almagro-, d’un Eizarre , d’un Fernand-Cortez , & L’étole enfenglantée des Vanverdes. Dans l’état de Nature, l’homme eft effentiellement bon ; pourquoi le Hottentot feroit-il une des exceptions , de cette règle ; c’eft mal à propos qu’on l ’accufe d’être cruel ; il n’eft que vindicatif ; trop fenfible au mal qu’on lui fait, qu’y-a-t-il dé plus naturel que de repouffer la force par la force; il nous ‘fied bien d’ordormer aux peuples de la Nature la pratique de nos vertus faâices, quand les noms nous en font à peine connus, & que leur régime n’eft confenti par perfonne; & la peine même du talion, la feule en ufage avant que nous nous fuflions avifés d’être des Philofophes, qu’eft-ce autre choie que le droit de rendre offenfe pour offenfe, & d’ôter la vie à qui ne craint pas d’attenter à la nôtre? Si les Sauvages d’Afrique ou d’Amérique s’avifoient quelque jour de rêver qu’ils vivent malheureux, privésde nos arts, de nos richeffes, & de toutes les reffources de notre génie , & qu’unis enfemble, armés d’un triple fer , ils accouruffent pour inonder l’Europe & nous en chaffer,de quel front recevrions-nous ces barbares , & de quels traitemens nous v.erroit-on payer leur audace ? Telle eft cependant leur hiftoire ou la nôtre ; telles font nos tentatives entrçprifes dans les trois mondes avec des fuccès trop heureux; Tomt I I , K k


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