2J4 V O Y A G E parce que je lui connois l'ame affez bonne. Il faut pourtant convenir qu’il a dans les traits un caractère particulier qui le fépare en quelque forte du commun des hommes; les pommettes de fes joues font très-proéminentes, de telle forte que fon vifage étant fort large dans cette partie, & la mâchoire au contraire exceflîve- ment étroite, fa phyiionomie va toujours en diminuant jùfqu’au -bout du menton; cette configuration lui donne un air de maigreur qui fait paroître fa tête très-difproportionnée & trop petite pour xin corps gras & bien fourni; fon nez plat n’a quelquefois pas fix lignes dans fa plus grande élévation; fes narines, en revanche, font très-ouvertes & dépaffent fouvent, en hauteur, le dos de fon nez ; fa bouche eft grande & meublée de dents petites, bien perlées & d'une blancheur éblouiffante ; fes yeux très-beaux & bien ouverts inclinent un peu du côté du nez comme ceux des Chinois; à l’oeil ainfi qu’au toucher, on voit que fes cheveux reffemblent à de la laine ; ils font courts, frifés & d’un noir d’ébène , il ne porte que très-peu de poil, eneore a-t-il foin de s’épiler» fes fourcils naturellement dégarnis font exempts de ce foin; la barbe ne lui croît que fous le nez & à l’extrémité du menton ; il ne manque point de l’arracher, à mefiire qu’elle fe montre ; cela lui donne un air efféminé qui, joint à la douceur naturelle qui le caraâérife , lui enlève cette impofante fierté commune à tous les hommes de la Nature & qui leur a mérité le fuperbe titre de Roi. Quant aux proportions du corps, le Hottentot eft parfaitement moulé. Sa démarche eft gracieufe & fouple ; tous fes mouvemens font aifés, bien différens des Sauvages de l’Amérique méridionale qui ne paroiffent avoir été qu’ébauchés par la Nature. Les femmes avec des traits plus fins ont cependant le même caraélère de figure; elles font également très-bien faites, ont la gorge admirablement placée & de la plus belle forme dans la fraîcheur des ans, les mains petites & les pieds bien modelés, quoiqu’elles ne portent point de fandales ; le timbre de leur voix eft doux, & leur idiome , en paffant par lenr gozier , ne manque pas d’agrément ; elles fe livrent, lorfqu’elles parlent, à une infinité de geftes qui prêtent à leurs bras du développement & des grâces. Le Hottentot naturellement timide eft également très-peu entreprenant. Son fang-froid phlegmatique & fon maintien réfléchi lui donnent un air de réferve qu’il ne dépofe même pas dans les momens de fa plus grande joie, tandis qu’aucontraire toutes les Nations noires & bafanées fe livrent au plaiiir avec l’abandon le plus expanfif & la gaîté la plus vive. Une infouciance profonde le porte a 1 inaction & a la pareffe; la garde de fes troupeaux & le foin de fa fubfiftance, voila fa plus grande affaire ; il ne fe livre point a la chaffe en Chaffeur, mais en homme que fon eftomac preffe & tourmente. Du refte, oubliant le paffé , fans inquiétude fur l’avenir, le préfent feul le frappe & l’intéreffe. ; Mais il eft bon, ferviable & le plus généreux comme le plus hofpitalier des Peuples; quiconque voyage chez lui eft affuré d’y trouver le gîte & la nourriture ; ils reçoivent, mais n’exigent pas; fi le .Voyageur a une longue route à faire, fi d’après les éclaif- ciffemens qu’il demande, on connoît qu’il eft fans efpoir de rencontrer de fi tôt d’autres Hordes, celle qu’il va quitter 1 approvi- fionne, autant que fes moyens le lui permettent, de toutes les chofes dont il a befoin pour continuer fa marche & gagner Pays. Avant l’arrivée des Européens au Gap., les Hottentots ne con- noiffoient point le commerce; peut-être même n’avoient-ils entr’eux nulle idée des échanges ; mais, à l’apparition du tabac & de la quincaillerie, ils fe furent bientôt immifcés dans une partie des myftères mercantiles ; ces objets qui n’étoient d’abord que des nouveautés agréables , avec le temps font devenus des befoins ; ce font les Hottentots des Colonies qui les leur apportent, quand ils viennent à manquer ; car il eft bon d’obferver que, quelqu’empreffés qu’ils foient de jouir de ces bagatelles, ils ne fe donneroient pas la peine de faire un pas pour les aller chercher eux-mêmes, & préféreroient de s’en paffer : leçon utile à ceux qui traînent leur vie dans l’agitation pour courir après des chimères. Tels font ces peuples, ou du moins tels ils m’ont paru, dans toute l’innocence des moeurs & de la vie paftorale, Ils offrent encore l’idée de l’efpèc» humaine eu fon enfance. Un trait fublime
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