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qui vit au milieu d’eux, j’en ai vu qui verfoient des larmes abondantes & bien amères. j M. Sparmann avoit été témoin dans les Colonies , dune fcene qu’il raconte ainfi : « deux .vieilles femmes fecouoient & frap- » poient à coups de poings un de leurs compatriotes mourant ou » même déjà mort, & lui crioient aux oreilles des reproches & » des paroles confolantes ». 11 ne faut pas s’abufer fur un conte de cette efpèce. Si ces femmes avoient été perfuadées que le jeune-homme fut mort, elles auroient certainement fupprimé de leurs careffes les tiraillemens & les coups de poings; mais ces mouvemens que le doâeur préfente comme les agitation convulfives du défefpoir, n’étoient qu’un moyen de remplacer les liqueurs fpiritueufes auxquelles on a toujours recours en Europe, pour éclaircir un doute auffi fâcheux, & dont ces peuples font privés. L’agitation violente employée par les deux vieilles , eft un remède auffi efficace & qui produit apparemment de bons effets , puifque M. Sparmann ajoute qu’il opéra la réfurreftion du malade. La petite vérole, qui a fi fouvent ravagé les Kraals Hottentots des Colonies, n’a jamais paru qu’une feule fois chez les Gona- quois ; elle leur enleva plus de la moitié de leur monde ; ils la redoutent au point, elle leur infpire tant dhorreur, qua la première nouvelle qu’elle attaque une des Colonies, ils abandonnent tout & s’enfuient dans le plus profond du défert ; malheur a ceux de leurs malades qu’ils foupçonneroient en être atteints ! convaincus qu’il n’eft aucun remède à ce fléau dangereux , que ce foit un père, une épottfe, un enfant, peu importe, la voix du fang paroît fe taire; on les abandonne à leur malheureux fort; privés de fecours, ils faut qu’ils périffent de faim-, fi ce n eft des accès de leur mal. Cette frayeur bien naturelle à des peuples Sauvages ne contredit point leur piété fi fainte & la pureté de leurs moeurs ; l’image de la dévaluation de leurs Hordes , toujours prefente a leur imagination j eft bien faite pour les porter un moment à l’abandon des plus facrés devoirs; mais on eft révolté de lire dans des Auteurs anciens, & d’entendre un Voyageur moderne répéter d’après eux ; que les Hottentots, lorfqu’il leur prend fantaifie de changer leur domicile, abandonnent, fans pitié comme fans regret, leurs vieillards & tout ce qui leur eft inutile & pourroit contribuer à retarder leur marche ; cette affertion ne doit pas être préfentée comme une règle, un ufage général : à moins qu’ils ne fe trouvent dans une circonftance auffi impérieufe & fatale que celle dont je viens de parler , oü dans la guerre, quelles raifons peuvent les contraindre à hâter plutôt qu’à ralentir leur marche ? Au refte, je ne croirai jamais que le Hottentot en agiffe ainfi fans éprouver de longs & de mortels regrets. Attaqué par un ennemi fupérieur , hors d’état de repouffer la force par la force, on fe difperfe, on s’éloigne comme on peut, & c’eft dans ce cas le feul parti raifonnable qu’on puiffe prendre. On eft bien forcé malgré foi quand on eft furpris par l’ennemi, de laiffer en arrière les vieillards, les malades, les traîneurs ,- tout ce qui ne peut fuivre; quel eft l’homme affez mal inftruit des fuites défaftreufes de la guerre , pour faire au Hottentot un crime d’une néceffité fous laquelle l’Européen même ne feroit pas exempt de plier ? Je vais plus loin , & je ne crains pas de tout dire : les Sauvages ne balancent pas à employer ce même expédient contre la famine, malheur non moins redoutable que la petite vérole & la guerre, quand ils en font attaqués; dans ce cas, l’abandon de quelques individus , que d’ailleurs on ne pourroit fauver, devient un facrifice néceffaire au bien de tous; ceux qui fuyent ne font pas fur eux- mêmes d’échapper au fléau général. Plus des trois-quarts périffent dans la route , au milieu des fables & des rochers , brûlés par la foif, & confumés par la faim; le petit nombre qui furvit, fait de longues marches avant d’avoir trouvé quelques légères reffources. Tels font les trois motifs qui prêtent aux Hottentots une barbarie à laquelle ils fe voyent contraints par une force plus invincible que le devoir & l’amour. La Nature ne peut rien dans ces coeurs timides & fimples ; mais, pour s’endormir un moment , elle n’en eft pas moins forte & moins grande, & les Calamités publiques pour des peuples qui n’ont pas la première des combinaifons de nos arts, & Hhi j


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