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v o it , par les foins affidus qu’on leur prodigue , les oifealix le* plus éloignés , les plus étrangers l’un à l’autre, multipliant , fe propageant, comme s’ils vivoient dans leur pays natal. Ce fpec- tacle, je l’avouerai, fervit encore à redoubler mon ardeur, & me raffermit pour jamais contre tons les obftacles & tous les périls que j’avois réfolu d’affronter. Je ne tardai point à me lier particulièrement avec M. Temmincle. Cet Amateur me combloit d’honnêtetés ; il pouvoit, plus qu’aucun autre, favorifer mes deffeins. Je n’héfitai point à les lui confier. Il m’approuva, & me mit bientôt au fait des moyens que je devois employer pour réuflir ; il n’épargna lui-même ni foins ni démarches ; je fus affez heureux pour obtenir la permiflion de paifer au Cap fur un vaiffcau de la Compagnie. Mon départ fut arrêté. J’obtins de mon refpe&able ami ces recommandations fi puilfantes & fi généreufes , fans lefquelles, par une fatalité fingulière , comme on le verra bientôt , je ferois infailliblement tombé dans les plus cruels embarras. 'v Je m’occupois fans relâche des préparatifs néceffaires pour ce grand Voyage. Lorfque je me fus procuré tout ce que je pré- voyois devoir m’être utile dans l’intérieur de l’Afrique, je pris congé de mes amis , & de l’Europe. Une chaloupe vint me recueillir, & me conduifit au T exel, à bord du Held-Wolumaade, vaiffeau deftiné pour Ceylan, mais qui devoit relâcher au Cap de Bonne-Efpérance. Notre Capitaine fie nommoit S** V ** . Le vent n’étant point favorable pour fortir du T ex e l, nous l’attendîmes pendant huit jours. Dans cet intervalle, j’appris que notre Navire étoit un ex-voto de la Compagnie des Indes, en mémoire d’une belle aftion d’un Habitant du Cap , nommé W'oltemaade, lequel, pendant une tempete affreufe , avec le fecours de fon cheval, étoit parvenu a fauver quatorze Matelots d’un Navire naufragé dans la baie de la Table , mais qui lui-même , viâime de fes généreux efforts, avoit péri dans une dernière tentative , accablé par fa propre fatigue , par celle de fon cheval, & le poids des malheureux qui s’étoient jetés en foule fur lui ,• dans la crainte qu’il ne retournât plus au Vaifi- feau ayant qu’il fût entièrement fubmergé. On peut voir une défi cripfion très-détaillée & très-attendriffante de cette cataftrophe, dans le Voyage au Cap , du doéteur Sparmann. Enfin, le vent s’étant déclaré favorable , nous levâmes l’ancre Je 19 Décembre 1781 , à onze heures du matin , veille précife de la déclaration de-guerre de la part des Anglois à la Hollande. Vingt-quatre heures plus tard, la Compagnie ne nous auroit pas permis de partir ; ce qui feroit. venu , fort mal-à-propos , me contrarier 8c renverfer peut-être toutes mes réfolutions , & plus encore mes efpérances. Un très-gros temps , & une brume fort épaiffe nous permirent de traverfer la Manche fans être aperçus des Anglois nous gagnâmes la pleine-mer, fendant les flots en toute fécurité, & ne foupçonnant pas que le feu de la guerre fe fût embrafé de toutes parts. Nous allions tantôt bien, tantôt mal, & fumons le Mercure, autre vaiffeau de la Compagnie , qui faifoit même route que nous , & nous eommandoit. Jufques-là , notre Voyage ne nous offrit rien de remarquable ; mais nous devions nous reffentir bientôt de l’ébranlement général. Je favois que, dans une traverfée de trois ou quatre mois,' peut-être de fix, j’éprouverois plus d’un inflant de défoeuvrement &c d’ennui ; en conféquence , je m’étois précautionné là-deffus avant de partir , & j’avois emporté quelques Livres ; parmi mes Traités d’Hiftoire naturelle , & me« Relations de Voyages, j’avois un la Caille. Je m’am«f°is de préférence à le lire ; mais je me rappelle qu’un jour, ■ tombant fur un paffage anti-philantropique, & plein de fanatifme, je jetai tout-à-coup le Livre avec humeur, & me promis bien de n’en pas continuer la leâure. Voici ce paffage : « L’ufage d’aller à la chaffe des Nègres fugitifs & bri- » gands , comme à celle des animaux fauvages , n’a rien qui » puiffe choquer la délicateffe Européenne; du moment où des » hommes utiles dans la Société renoncent à leur état , par un » efprit de libertinage & de cupidité, ils fe dégradent au-deffous ♦> des bêtes , & méritent les plus rigoureux traitemens ». Mais depuis , reflechiffant au caraâère humain , doux & fi tolérant, dont on fait par-tout honneur à ce Savant, je repris fon Livre & j y trouvai ces réflexions : « Préjugé à part, lequel eft préférable A ij


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