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plus d’un an, fans que perfonne ofât l’approcher, tant on craigrioit la communication de fa maladie , qui paffoit pour contagieufe! fa femme , en effet, & deux enfans vendent d’en mourir il n y avoit pas deux mois. On lui jetoit fa nourriture a 1 entrée de fa loge ou plutôt de fa tombé ; car ce n’étoit plus un être vivant. Son état, vraiment déplorable , m in fpira de la pitié; il croupiffoit depuis long-temps dans l’ordure & fes déjections. Combien je me fentis peiné de ne pouvoir, par un remède efficace, apporter quelque foulagement à fes maux ! Pavois beau me fouvenir qu’à Surinam nous recueillons nous* mêmes le baume de Copahu, & celui de Racaffir, qui, je crois, eft le Tolu de la pharmacie, & qu’avec ce feul fecours nous gué- riffions facilement nos Nègres. Je n’en étois pas pour cela plus avancé ; l’Afrique ne m’offroit aucune de ces plantes falutaires, ou du moins fi elles y croiffent, dans quel lieu devois-je les aller chercher ? Il me vint pourtant dans l’efprit un moyen , finon de guérir entièrement fes douleurs , du moins d en fufpendre un peu la durée. Je commençai par tranquillifer les efprits de ces bons Sauvages, çn les affurant que la maladie n’étoit point contagieufe ; qu’elle ne pouvoit fe communiquer ni’ par le contait immédiat du malade, bien moins encore par l’air environnant ; pour les perfuader davantage , je leur dis avec fermeté qu’elle m’étoit très-connue ; fans cette précaution , le deffein que je formois pour le foulagement du miférable couroit 'grand rifque d’avorter , une prévention invincible leur faifant craindre à tous une épidémie. Ils m en crurent heureufement, & promirent d’exécuter tout ce que j ordonnerois. Je leur dis donc qu’il feroit à propos de faire au moribond une friâion générale avec de la graiffe de Mouton fondue ; que ce remède innocent reftitueroit à la peau defféchée de cet homme, un peu de foupleffe, & lui procureroit du moins la facilité de fe mouvoir. Je lui fis donner plufieurs nattes, en le priant de faire quelques efforts pour les paffer fous lui. Tout foible quil étoit, il réuffit au gré de mon défir. Je propofai alors de lui conftruire une nouvelle hutte, & de l’y tranfporter. Cet avis fut reçu avec des exclamations exclamations par tous les affiftans. Pour ne . pas donner à leur bonne volonté le temps de fe réfroidir , mes gehs & moi mimes la main à l’ouvrage, & la hutte fut bientôt achevée & en état de recevoir le malade. J’ai toujours penfé que cet homme avoit été atteint du fléau deftruâeur qui empoifonne les fources de la vie , & détruit le plaifir par le plaifir même. Quoiqu’étrangers à ce fléau, ainfi qu’aux Hottentots du Cap qui le connoiffent fi bien , les Gona- quois pouvojent l’avoir reçu de proche en proche ! un voyage, une fatale rencontre , fans doute , avoit caufé le malheur de celui-ci. On le fit fortir étendu fur fes nattes. Il fut porté près de fa nouvelle demeure, & l’ancienne fut au moment meme démolie* J’étois un Dieu bienfaifant pour ces bons Sauvages. Avec quel intérêt ils fuivoient l’infortuné, les yeux fixés tantôt fur fon fau- veur, tantôt fur le malheureux , pour la fanté duquel ils conce- voient déjà beaucoup d’efpérance ; car ce doux aliment des coeurs rayonnoit fur tous les fronts, & doubloit leur tendre compaffion ! avec quel empreffement je les voyois tous accourir, m environner , s’attendrir fur les fouffrances de leur, frere, & toutes les femmes fur-tout, implorer les connoiffances qu elles me fuppofoient afin dé donner, s’il étoit poffible, quelque relâche a fon fupplice, & de le rendre à la vie 1 Il n’étoit plus qu’un fquelette mal recouvert par une peau rétrécie & sèche, qui laiffoit voit à nu des parties d’os aux, jambes , aux bras, aux côtés & aux teins ; toutes les jointures étoit démefu- rément enflées, & les vers, anticipant fur fa deftruâion , le ron- geoient de toutes parts. Après la friflâon que j’avois Ordonnée ,ion l’introduifit dans f* hutte ; je le recommandai aux attentions & aux foins de toute la Horde, & je priai qu’on ne lui donnât que du lait pour toute nourriture. . . Je doute fort que ces fecours ayent été fuffifans pour le réchapper; malheureufement je n’étois pas plus inf t rui tdans l’intime perfuafion que fa mort étoit inévitable, j’avois penfé que la hâter Tome II, D d


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