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xiv P r é c i s qui me réufliffoit affez bien, mais qui parloit fort peu à l ’imagination , encore moins aux yeux. Je ne connoiffois d’autre méthode que den dépofer les peaux dans de grands livres pour les confer- ver ; ic i, un autre fpeélacle éveilloit tous mes fens; il falloit, outre le mérite de la confervation, leur reftituer leurs formes : ces deux points effentiels m’embarraffoient; je réfolus de m’en faire une étude particulière & je m’y livrai tout entier; j’étois chaffeur déterminé. Pendant uir féjour de deux ans en Allemagne, un autre de fept en Lorraine & en Alface , je fis un dégât d’oifeaux incroyable ; je voulois auifi joindre la connoiffance approfondie des moeurs à la diftin&ion des efpèces, & je n’étois parfaitement fatisfait de mes chaffes que lorfque j’étois parvenu à Surprendre le mâle & la femelle en fituaticm qui ne me permît pas de douter de leur fexe ; j’ai fouvent paffé des femaines entières à épier des efpèces d’oifeaux avant de pouvoir me procurer la paire. G’eft donc dans l’efpace de huit ou neuf ans qu’à force de foins i de. peines, de tentatives & de dégâts, je fuis parvenu non-feulement à rendre à fes animaux , fi frêles & fi délicats, leur forme naturelle, mais même à les maintenir dans cette confèrvation intaéle & pure qui fait le mérite de ma collection. C’eft aufli par cette longue habitude de vivre avec eux dans les champs , dans le b ois, dans tous les lieux de leurs retraites les plus cachées , que j’ai, appris à diftinguer les fexes d’une manière invariable : Art divinatoire ,.fi je puis m’exprimerainfi , que je ne prétends pas donner comme un mérite bien éminent, mais qui eft l’apanage d’un très- petit nombre. d’Ornitologiftes. Combien de fois ne m’eft-il pas arrivé de voir dans des Cabinets , d’ailleurs affez curieux , tantôt des divorces forcés, tantôt des alliances monftrueufes & contre nature; là on place, comme mâle & femelle, deux êtres qui jamais H 1 S T O R I Q V E. XV ne fe font rencontrés; plus loin un mâle & fa femelle font annoncés & claffés comme deux efpèces différentes, &c. J’amaffois de plus en plus des connoiffances dans cette partie intéreffante de l’Hiftoire Naturelle; mais j’avoue que, loin de me contenter , elles ne faifoient que me prouver toute l’inluffifance de mes forces : une carrière plus étendue devoir s’ouvrir devant moi; l’occafion fembloit m’appeler de loin & m’inviter a ne pas différer plus long-temps. Dans le courant de . 17 7 7 , une circonftance favorable me con- duifit à Paris. Je portai, comme tout Etranger qui arrive pour la première fois dans cette Capitale, mon tribut d’admiration aux Cabinets des Curieux & des Sçavans. J’étois ébloui, enchanté de la beauté, de la variété des formes, delà richefïe des couleurs, de la quantité prodigieufe des individus de toute efpèce q u i, comme une contribution forcée, viennent des quatre parties du monde fe claffer méthodiquement, autant que cela fe peut faire, dans un efpace malheureufement toujours trop limité. En trois années de féjour, je vis , j’étudiai, je connus tous les Cabinets importans ; mais , le dirai-je , ces fuperbes étalages me donnèrent bientôt un mal-aife, ils laifsèrent dans mon ame un vide que rien ne pouvoit remplir ; je ne vis plus, dans cet amas de dépouilles étrangères, qu’un dépôt général où les différents êtres rangés, fans goût & fans choix, dormoient profondément pour la fcience. Les moeurs, les affeûions, les habitudes , rien ne me donnoit des indications précifes fur ces chofes effentielles ! C’étoit l’étude qui, dans ma première jeuneffe, m’avoit le plus intéreffé; je connoiffois , il eft vrai, divers Ouvrages d’Hiftoire Naturelle, mais remplis de contradiéiions fi rebutantes que le goût qui n’eft pas encore formé ne peut que beaucoup perdre à les lire-, j’avois fur-tout dévoré les


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