Page 104

27f 81

encore trois autres coups ; mais le fon ne nous parut pas venir de fi loin que les premiers ; enfin, d’intervalles en intervalles , toujours mjnies déchargés, & toujours plus rapprochées de nous; ce qui nous p'erfuada que ces malheureux fuyoient la pourfuite de quelques bêtes fetoces. J’allois voler à leur rencontre ; ils parurent , effarés & tremblans. Ils n’avoient cependant rien aperçu; mais a 1 inquiétude des deux Chiens qu’ils avoient emmenés avec eu x , il etoit trop clair que des Lions marchandoient leur v ie , & qu’ils avoient eu tout à craindre dans leur chaiTe. Les Chiens, comme on va le voir , ne les avoient point trompés ; j’appris d’eux encore qu’ils avoient ouï le grognement de quelques Hippopotames au-deffus de l’endroit où ils s’étoient embufqués; ce rapport fortifia mes efpérances ; mais nous avions grand befoin de repos; je rentrai dans ma tente; je n’étois pas encore endormi à onze heures & demie; tout à coup le rugiflement d’un Lion , qui n’étoit qu’à cinquante pas de nous, frappe mon oreille ; il fe faifoit entendre d’un autre Lion , qui paroiffoit d’abord lui répondre de fort loin ; mais dans un quart-d’heure celui-ci le vint joindre , & tous deux fe mirent à rôder près du camp ; nous fîmes une patrouille fi hardie & fi prompte, & nous tirâmes à la fois tant de coups de fufil, que nos décharges les intimidèrent & les forcèrent à gagner tout-à-fait le large. Nous ne doutâmes plus que ce ne fuifent les mêmes qui avoient fuivi nos chaffëurs. Pour cette fois, ils dévoient leur falut aux Chiens qu’ils avoient emmenés. Avertis par eux du danger qui les menaçoit, les coups de détreffe qui s’adreffoient à nous avoient fuffi pour tenir l’ennemi en refpeft. On ne fauroit exprimer à quel point les Chiens les plus hardis tremblent à l’approche du Lion. Rien n’eft fi facile pendant la nuit que de deviner à leur contenance quelle eft l’efpèce d’animal féroce qui fe trouve dans le voifinage. Si c’eft un Lion, le Chien, fans bouger de* la place,commence à hurler triftement. Il éprouve un mal-aife & la plus étrange inquiétude; il s’approche de l’homme, le ferre , le careffe; il femble lui dire : « TU ME d é f e n d r a s Les autres animaux d o - meftî^ues ne font pas moins agités; tous fe lèvent; rien ne refie couché; les Boeufs pouffent à demi-voix des mugiffemens plaintifs; les Chevaux frappent la terre & fe retournent en tous fens; les Chèvres ont leurs lignes pour exprimer leur frayeur ; les Moutons , tête baiffée , fe raffemblent & fe preffent les uns contre les autres ; ils n’offrent plus qu’une maffe & demeurent dans une immobilité totale. L’homme feu l, fier & confiant, faifit fes armes , palpite d’impatience & foupire après fa vidime. Dans ces occafions , l’épouvante de Keès étoit la plus marquée ; autant effrayé des coups de fufil que nous tirions que de l’approche du Lion , le moindre mouvement le faifoit treffaillir; il fe plaignoit comme un malade, & fe traînoit à mes côtés, dans une langueur mortelle. Mon Coq me paroiffoit feulement étonné de toute cette agitation convulfive de mon camp ; ün fimple Epervier l’eût jeté dans la confternation. Il craignoit plus l’odeur d’une Belette que tous les Lions réunis de- l’Afrique ; c’eft ainfi que chaque être a fon ennemi qui le défie , & celui-ci fléchit à fon tour devant un plus fort. L’homme brave tout, fi ce n’eft fon femblable. On voit à la vérité des animaux d’une même êfpèce fe livrer entr’eux des combats; mais l’amour, la feule pâflîon qui les défuniffe, les y force momentanément, après quoi tout rentre dans l’ordre. On remarque chez les animaux domêftiques des haines plus fui- vies & plus durables. Eft-ce l’effet de l’éducation ou de l’exemple ? Je reviens aux différences par lefquelles le danger s’annonce ; on croira fans peine, qu’aucun autre n’a été à portée d’en mieux apprécier les détails ; & tous les livres & les compilations & toute l’éloquence fpéculative ne fauroient prévaloir contre des obfer- vations-pratiques tant de fois répétées fur le grand théâtre des déferts d’Afrique. • Si c’eft une Hienne qui parcourt le voifinage , le Chien le plus hardi la pourfuit jufqu’à une certaine diftance, & ne paroît pas la craindre infiniment ; le Boeuf refte couché fans témoigner de frayeur , à moins que ce ne foit une jeune bête qui entende pour la première fois cet animal dangereux ; il en eft de même du Cheval qui, le pied paffé dans fon licou , refte la nuit fur le pré & ne le craint en aucune façon.


27f 81
To see the actual publication please follow the link above