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éparfes des touffes de la crinière des Lions qu’il avoit fans doute arrachées foit avec fes pieds, foit avec fes cornes. Je n’étois pas éloigné de la» rivière, je vis près de là des pas fraîchement imprimés de deux Hippopotames ; je (uivis la trace & reconnus aifément par quel endroit ils» avoient regagné l’eau ; je prêtois l’oreille inutilement & n’entendis rien ; je ne pouvois gagner les bords de la rivière , tant ils étoient obftrués & garnis de rofeaux & d’arbriffeaux ; ces Hippopotames avoient toute facilité pour fe tenir cachés & s’exempter de faire le plongeon ; j ’aurois perdu trop de temps à les attendre ; l’heure du dîner approchoit ; j’étois à jeun & fatigué ; mon Crapaud-volant & les autres oifeaux m’a voient mené fort loin ; dans le moment ou pour rejoindre mon camp par le plus court chemin , je m’orientois & confultois le Soleil, un coup de fufil tiré prefqu’à mon oreille me fit treffaillir, & me eaufa d’autant plus d’épouvante que je m’y attendois moins ; ce coup ne pouvoit venir que de quelqu’un de mes gens ; je courus vers le côté d’où je l’avois entendu partir , & je trouvai le plus mauvais de mes chaffeurs en train de brûler ma poudre. Depuis la pointe du jour il guettoit, me dit-il, un Hippopotame , & venoit de le tirer; il ne doutoit point que l’animal ne- fût tué. Un coup heureux peut partir d’une main mal-adroite ; quoiqu’il fallût plus d’un gros quart-d’heure pour voir l’animal remonter fur l’eau , je réfolus de l’attendre moi- même & j’envoyai mon Hottentot chercher du monde , en lui donnant commiflion de m’apporter quelque nourriture. Après une heure & demie d’impatience , mes gens arrivèrent ; mais l’Hippopotame n’avoit point encore reparu ; le chaffeur m’affuroit cependant qu’après avoir tiré fon coup, il l’avoit vu s’enfoncer dans l’eau, & qu’en même temps il avoit remarqué beaucoup d’ébul- litions & plufieurs taches de fang à la fueface ; il ajoutoit que le courant étant très-fort, l’animal avoit peut - être dérivé entre deux eaux, ce que je trouvai plus croyable; il partit donc dans l’efpérance de le rencontrer plus bas ; moi, je regagnai le- camp pour y difféquer les oifeaux que j’avois tués. Vers les trois heures après midi, nous fumes affaillis par un orage terrible, & le tônnère tomba plufieurs fois fur la forêt qui bordoit la montagne ; un de mes gens revint avec une Gazelle qu’il avoit tuée , & celui qui avoit tiré l’Hippopotame arriva fort tard fans avoir rien vu; on fe moqua beaucoup de lui; il fut l’objet des farcafmes de mes beaux-efprits ; chacun difoit fon mot : on vouloit lui perfuader qüe c’étoit fur un Légouane qu’il avoit lâché fon coup de fufil ( * ) . Les plaifanteries faifânt infen- fiblement place aux injures, je vis l’inftant où les épigrammes alloient fe terminer par un noble combat aux coups de poings ; je mis fin , par un mot, à leur verve bilieufe , & contraignis lés orateurs au filence. Le 14, la pluie tomba toute la nuit avec une telle abondance qu’elle éteignit nos feux fans qu’il fut poffible de les rallûmer. Nos Chiens faifoient un vacarme affreux qui nous tint tous éveillés ; cependant nous ne vîmes aucun animal féroce ; j’ai obfervé, que dans ces nuits pluvieufes, le Lion , -le Tigre & l’Hienne ne fe font jamais entendre ; c’eft alors que le danger redouble ; càr, comme ces animaux ne ceffent pas pour cela de rôder, ils tombent fur leur proie fans s’être annoncés & fans qu’on ait le temps de les prévenir ; ce qui ajoute encore à l’effroi que devroit caufer cette circonftance fâcheufe, c’eft que l’humidilé ôtant le nez aux chiens , leur fecours eft prefque nul ; mes gens n’étoient que trop inftruits de ce danger ; lorfque là pluie éteignoit nos- feux pendant la nuit, ils avoient beaucoup dé peine à prendre fur eux de les rallumer , tant ils craignoient les furprifes. Il faut convenir que les nuits orageufés des déferts d’Afrique font l’image de lâ défolalation ,& qu’on fè fent involontairement frappé de terreur. Quand ces déluges vous fûrprennent, ils ont bientôt traverfé , inondé une tente & des nattes; une fuite continuelle d’éclairs fait éprouver vingt fois dans une minute le paffage fubit & précipité d’un jour effrayant à l’obfcurité la plus profonde ; les coups affôurdiflans du tonnerre qui éclatent de toutes parts (* ) Le Legouane eft une efpèce de gros Lézard alliez commun d'Afrique, dans les rivières Yij


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