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x P r é c i s mités de Ta Colonie , m’emmenoient avec eux, & me faifoient partager leurs courfes, leurs fatigues & leurs amufemens. Ainfî j’exerçai mes premiers pas dans les Déferts, & je naquis prefque Sauvage. Quand la raifon, qui devance toujours lage dans les Pays brûlés, eut commencé à luire pour moi , mes goûts ne tardèrent point à fe développer ; mes parens aidoient, de tout leur pouvoir, aux premiers élans de ma curiofité. Je goûtois tous les jours , fous d’auffi bons maîtres , des plaifirs nouveaux ; je les entendois differ- te r , d’une façon qui étoit à ma portée, fur les objets acquis & fur ceux qu’on efpéroit fe procurer dans la fuite : tant d’idées & de rapports s’amaffoient dans ma tête , canfufément à la vérité dans les commencemens, mais peu à peu avec plus d’ordre & de méthode ; la Nature a donc été ma première inftitutrice, parce que c’eft Tur elle que font tombés mes premiers regards. Bientôt le défir de la propriété & l’efprit d’imitation , pallions favorites de l’enfance, vinrent donner de l’impétuofité» je pourrois dire de l’impatience, à mes amufemens. Tout difoit à mon amour- propre que je devois auffi me faire un Cabinet d’Hiftoite Naturelle; je me lailfai careffer par cette idée féduifante,& , fans perdre de temps, je déclarai traîtreufement la guerre aux animaux les plus foibles, & me mis à la pourfuite des Chenilles, des Papillons» des Scarabées, en un mot de toutes les efpèces d’Infeites. Lorfqu’on travaille pour fon propre compte, on peut » avec des moyens bornés, des talens novices & peu développés, faire un mauvais ouvrage ; mais, on a , ce me femble , toujours affez bien réufîi pour foi - même fi l’on n’a néglige ni temps, ni foins , ni peines, & fi l’on y a déployé toutes fes facultés, toutes fes forces. D’après ces difpofitions, indices prefque certains des fuccès, je Yoyois fe former fous mes mains & s’accroître de jour en jour ma H 1 S T 0 R I Q V £• jolie collection d’Infeaes; j’en faifois le plus grand cas; je leftimois outre mefure : j’en étois l’unique créateur ; c’eft dire affez combien je la trouvois fupérieure à celle de mes parens : l’orgueil eft un aveugle qui fait marcher de pair if* chefs-d’oeuvres de la Sottife & du Génie. Tout concentré dans ma jouiffance, je n’avois pas encore fenti que toujours l’obftacïe fe préfente & vient fe placer entre l’entreprife & le fuccès. Dans une de nos courfes, nous avions tué un Singe de l’efpece que dans le Pays on nomme Baboën ; c’étoit une femelle : elle portoit fur fon dos un petit qui n’avoit point été bleffé ; nous les enlevâmès tous les deux; de retour à la Plantation ; mon Singe n’avoit point encore défemparé les épaules' dé fa mère; il s y cram- ponnoit fi fortement qûe jé fus obligé de me faire aider par un Nègre poiir l’en détacher; mais, à peine féparé, il fe lança Comme un oifeau fur une tête de bois qui portoit une perruque de mort père ; il l’embraffa de toutes fés pattes & ne voulut abfolument plus la quitter; fon inftinit le fervoit en le trompant; il fè croyoit fur le dos & fous la prote&ion de fa mère ; il étoit tranquille fur cette perruque ; je pris le parti de l’ÿ laiffer & dé le nourrir avec du lait de Chèvre; Ton: erireïff dufâ environ trois femàines; après quoi , s’émancipant de fa propre autorité V il abandonna la perruque nouricière, & devint par fés gefitilleffes l’ami & le corn- menfal de la maifôn. 4 Je venois d’établir, fans m’en douter , le Loüp' dans la bergerie ;- un matin que je rentrais dans m a chambre dortt'j 'aVôis eu 1 imprudence :de laiffer la porte' quverte y jé vis* mort1 indigrte élèVe qüi faifoic fon déjeûhé de ma fupëtbe collè&ion; mon premier tranf- port fut de l’étouffer dans mes bras ; mais le dépit & la colère * <>;


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