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les agitations de la vie; et la froideur de la mort, sa morne insensibilité, que ne peuvent plus émouvoir les bruits ineffables des arbres des forêts, ni les secousses violentes des vents qui les agitent. D’autres fois, je me suis trouvé tout-à-coup vis-à-vis d’un petit sanctuaire, placé de diverses manières, mais toujours taillé dans la montagne, et n’offrant point dans le voisinage des traees d’anciennes habitations. J’en ai vu s’élevant sur des terrasses de verdure qui les rendent accessibles de toutes parts, les exposent aux rayons du soleil, et les font contraster, par leurs teintes claires, avec leurs sombres environs. D’autres sont placés dans l’endroit le plus reculé-d’un profond enfoncement: des rochers en désordre, de noires crevasses, et les lianes rampantes des ronces épineuses en forment le sauvage ornement. Aucun de ces petits sanctuaires ne fut décoré par l’art; on n’y voit ni colonnes, ni frises, ni le moindre détail d’une élégante architecture. Ce sont de petites salles carrées, de différentes grandeurs, où l’on arrive par deux ou trois degrés. Dans l’intérieur, un banc de roche règne tout autour ; au fond est un autel quadrangulaire au-dessus duquel est la niche réservée à la divinité qui présidait autrefois à ce lieu. La simplicité de ces autels champêtres convenait parfaitemént. à leur situation : le paysage en faisait tout l’ornement; et l’art, au lieu d’ajouter à ses charmes, les aurait sans doute déparés. Ses efforts ne peuvent plaire que dans le sein même des villes ; c’est là son séjour, c’est là qu’il triomphe. Mais qu’on l’isole au milieu des plus aimables sites que forme la nature, loin d’aider à leur effet, il en détruit l’harmonie. Ce sentiment exquis des convenances locales me paraît avoir été parfaitement connu des habitants de la Pentapole. En plaçant ces autels agrestes en des lieux isolés, ils choisirent des sites relativement convenables à leur objet; ils eurent le dessein de fixer l’attention par les attributs d’un symbole, et ils en abandonnèrent l’effet au paysage. Cet effet inexprimable, cet heureux accord de teintes et d’aspect, d’ombres et de lumière, parlait bien plus à l’ame, la provoquait bien plus au recueillement, que les dehors pompeux d’une orgueilleuse architecture. Et maintenant même que ces lieux sont abandonnés, maintenant que l’autel antique n’offre plus qu’un roc équarri au milieu des rocs qui l’entourent; maintenant que la divinité protectrice du lieu gît peut-être enfouie dans les champs, les environs du sanctuaire sont encore ornés de leurs dons primitifs, e t, selon l’aspect qu’ils offrent, ils peuvent de même offrir l’idée de son antique destination. Serait-ce sans un choix déterminé, sans une intention réfléchie, que 1 on aurait creusé ces grottes pieuses, les unes-, dans un site gracieux, au milieu de bocages riants, de tapis de verdure et de sentiers fleuris; et les autres, sur des rochers escarpés, remplis d’anfractuosités ténébreuses et exposés à la fureur des orages ? Des sites si différents auraient-ils eu une égale destination, auraient-ils inspiré les mêmes idées? Les jeunes Grecques auraient-elles escaladé ces rocs en désordre pour déposer dans leurs noires cavernes de timides offrandes, et invoquer Aphrodite ou les nymphes des bois? Les bergers, effrayés de la clameur des orages, auraient-ils été conjurer les dieux dans ce paisible vallon, où l’on ne voit que myrtes et cytises, où tout présente des images de paix et de repos? Il suffit d’indiquer ces contrastes pour en prouver l’inconvenance, et rendre mes conjectures plus vraisemblables. Cependant, comme des conjectures ne sont point l’objet spécial de mes écrits, je quitte, quoiqu’à regret, les lieux pittoresques qui m’ont inspiré celles-ci, et j ’arrive à des faits moins douteux. Durant les promenades toujours irrégulières, et souvent rétrogrades, que je fis dans cette région mon tueuse de la Pentapole, je n’aperçus aucune ruine d’un bourg de quelque importance. Cependant, si l’inégalité du terram rendit ce canton peu propre à y construire des villes, elle présenta du moins des boulevarts naturels pour la défense de la contrée ; les anciens habitants en connurent l’importance. Deux grands châteaux, Lemschidi et Lemlez, se trouvent, à une heure de distance entre eux, situés à l’extrémité d’une terrasse escarpée qui longe le flanc de cette partie des montagnes. Leurs murailles ayant environ quarante mètres de chaque côté, sont formées d’énormes assises posées à sec. De même que ceux déjà décrits, ils avaient deux étages ; l ’intérieur en était également voûté, sans offrir toutefois la même distribution : on n’y remarque point la petite pièce cintrée ornée de deux colonnes, indice de l’époque chrétienne, et dont nous connaissons l’usage. Ces châteaux sont tous les deux construits en vue de la mer; et il paraît certain que, n’importe dans quel temps, leur destination fut de .prévenir ou d ’arrêter des


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